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L'Armée par Le Général Georges Le Diberder

Préface de L'Armée par Le Général Georges Le Diberder - Les grands dossiers de L'Illustration


La défaite de 1870-1871, les souffrances de «l'année terrible» marquent encore les mémoires.

La magnifique armée du second Empire, encerclée, est réduite en un mois à la capitulation à Sedan et à Metz. Malgré les efforts du gouvernement provisoire, espérant vainement un sursaut analogue à celui de l'époque des «soldats de l'an II», il faut accepter le diktat de Bismark. L'empire allemand soudé affirme son hégémonie en Europe, la France perd l'Alsace et la Lorraine.
Les hommes politiques et les chefs militaires de la Ille République doivent donner à notre pays les moyens de faire face aux nouvelles menaces, de reprendre sa place dans le monde, d'y affirmer sa mission et de prendre sa revanche.
L'Illustration regroupe aujourd'hui dans un de ses remarquables «grands dossiers» les articles publiés à l'époque sur l'armée française de 1885 à 1914, et de 1919 à 1939.

Face à la puissance de l'armée allemande le problème des effectifs se pose en premier à nos gouvernants. Ils cherchent toujours les solutions les mieux adaptées à la défense de la patrie menacée, c'est dans cet esprit que Jaurès publie peu avant 1914 «l'Armée nouvelle».

Après 1871, les partisans de la République avaient pensé au remplacement de l'armée permanente par une organisation qui aurait regroupé trois millions de citoyens, instruits chez eux au maniement de leur arme individuelle. Avant la proclamation du Gouvernement de la République, ils avaient l'espoir que l'Allemagne considérerait alors que sa puissance militaire devenait inutile. On assisterait à une réduction spectaculaire de son armée et à la fin de l hégémonie de la Prusse. La réalité fut tout autre et devant les intentions de l'adversaire, c'est la France, dès 1872 qui adopta, au contraire, le système prussien, premier pays en Europe à avoir réalisé la mobilisation. Le 27 juillet 1872, la loi militaire renforçait l'armée active en établissant le service actif de 5 ans renforcé d'un service dans la réserve de 4 ans. Par ailleurs, la loi créait une armée territoriale avec un service de 5 ans complété d'un service de 6 ans dans la réserve. Au total le citoyen serait mobilisable pendant vingt ans et ne serait plus astreint aux obligations militaires à partir de 45 ans. De nouvelles lois s'efforcèrent d'améliorer ces dispositions en 1889, 1892, 1905 et enfin le 7 août 1913. Ces dispositions devaient permettre à la France de mettre en ligne, en 1914, 57 divisions d'active, 25 de réserve, 12 de territoriale. En août 1914, 4 millions de citoyens étaient appelés sous les drapeaux.

Le mode de recrutement tel que prévu par la loi de 1905, qui rend le service militaire obligatoire, a pour principal effet de créer un nouvel esprit dans les régiments où se retrouvent pour une durée de deux ans des hommes issus de milieux très différents, soumis aux mêmes exigences, aux mêmes entraînements. Ainsi que le précise le capitaine Lyautey dans son article publié en 1891 sur le «rôle social de l'officier», la tâche des cadres prend une nouvelle dimension. Le service est long, l'officier devient un guide, un tuteur, sa position dans la nation évolue. Si ceux issus de Saint-Cyr, de Polytechnique, venus le plus souvent des classes moyennes, gardent une réelle prééminence, les plus nombreux sortent du rang et proviennent des milieux populaires ; le général de Gallifet, pendant son passage à la tête du ministère de la Guerre, a développé les écoles qui permettent aux sous-officiers après concours d'accéder à l'épaulette à Saumur, à Saint-Maixent, Versailles et Fontainebleau. Les appelés reçus aux examens de l'Université deviendront officiers de réserve. L'Armée devient plus cohérente, bien entraînée, mieux commandée, le nombre des sous-officiers augmente. Depuis 1880 le service du génie dirige sur tout le territoire le programme des constructions des casernes et des quartiers, bien étudiés, adaptés aux besoins, véritable source d'étonnement pour les nouvelles recrues, ouvriers et paysans, habituées à moins de confort et de propreté.

La guerre de 1870-1871 avait démontré les insuffisances du Haut-Commandement. Après la défaite, sur les directives de Mac-Mahon, le général du Barrail organise l'état-major de l'Armée en 1876 l'Ecole supérieure de guerre s'installe à l'Ecole militaire. Pas moins de dix-sept plans de défense sont établis, d'abord défensifs puis, à la fin du siècle, devenant plus offensifs et donnant la priorité aux «Marches lorraines». A partir de 1905 on envisage la possibilité d'une violation de la neutralité de la Belgique mais seulement en comptant sur l'intervention d'un corps de réserve judicieusement placé.

Le général Joffre, nouveau chef d'état-major à partir de 1913, savait les possibilités qu'offrait désormais l'utilisation de la voie ferrée et de la route pour accélérer le transport des forces.

L'Armée s'est en effet intéressée à toutes les techniques nouvelles. L'artillerie avait été renforcée par le matériel de Bange, le 75 mis au point entrait dans les corps d'armée, 30 batteries en 1909. Malheureusement il fallut attendre 1913 pour disposer des crédits nécessaires à notre artillerie lourde qui fera défaut sur le champ de bataille pendant de trop longs mois. Le fusil Lebel s'est perfectionné, la mitrailleuse apparaît enfin dans les unités. Des expériences intéressent l'automobile, son utilisation tout terrain et son blindage, les possibilités de l'avion passionnent notre pays qui prend une nette avance sur les autres grâce à Blériot et à Farman. Le lieutenant-colonel Etienne est chargé des études et de l'emploi de l'aviation au profit de la manoeuvre des armées dans la recherche du renseignement et des batteries de l'artillerie adverse.

Des bataillons cyclistes nouvellement créés sont expérimentés au cours des grandes manoeuvres qui testent les possibilités des armes, l'entraînement des troupes, les qualités des chefs ; on s'efforce d'y serrer au plus près la réalité d'un combat qui se veut offensif.

Pour soutenir l'effort constant des gouvernements dans leur volonté de doter notre pays d'une force armée de qualité, il est réconfortant de constater l'adhésion de notre peuple tout entier, de ses élites, de ses paysans, de ses ouvriers. La défaite subie en 1870-1871 demeurait présente à tous les esprits. L'Allemagne toujours triomphante au début de ce siècle agace le sentiment national. Les Français ne veulent plus subir et sont farouchement patriotes. L'instruction publique est maintenant obligatoire pour tous et, si les enseignants demeurent animés d'une foi profonde dans la nécessité d'aimer la paix, ils entretiennent le souvenir de la défaite, la nécessité de préparer la guerre ; ils pensent à la revanche. On apprenait à l'Ecole de la République la morale, le civisme, l'esprit de sacrifice, les devoirs du soldat. On lisait en classe le récit des faits d'armes des héros de notre histoire. On apprenait «Le clairon», poème de Déroulède. De 1882 à 1892 on avait même créé des bataillons scolaires armés de fusils de bois pour préparer les enfants à l'instruction militaire. Après eux, les sociétés de gymnastique et de tir, les patronages poursuivront leur action.

Le peintre Detaille présentait au salon «le rêve» évoquant les gloires de l'armée de Napoléon ier. Avec plusieurs amis, il avait fondé les «Cahiers de la Sabretache» qui se vouaient à l'étude de l'histoire militaire, de l'uniformologie, des armements, des équipements. Lui et ses élèves illustraient livres et périodiques de leurs dessins glorifiant les gloires militaires passées. A l'Exposition universelle de 1900, le gouvernement présenta au public les nouvelles unités de l'Armée. De-taille en profita pour demander la création d'une véritable salle d'honneur de l'Armée française à l'Hôtel national des Invalides où Napoléon III avait déjà installé le musée de l'artillerie. Ainsi était créé le musée de l'Armée qui devait par ses présentations susciter les vocations et montrer ce qu'avait été l'histoire de nos armes. Detaille avait aussi fixé sur une grande toile la remise des drapeaux de la Ille République aux régiments le 14 juillet 1880 par le Président sur l'hippodrome de Longchamp et la Marseillaise était devenue l'hymne national.

Sous le second Empire notre marine connut une avancée remarquable grâce à Dupuy de Lôme qui en 1850 construit «le Napoléon», premier vaisseau à hélice, et en 1858 «la Gloire» premier cuirassé. Elle s'était ainsi hissée au deuxième rang mondial. En 1887 Gustave Zédé construisait le premier sous-marin le «Gymnote». Mais l'Allemagne nous dépassait à la fin du siècle et notre effort n'était repris qu'en 1906 par un vaste programme de douze cuirassés géants, en 1913 on doubla les crédits. La majorité de la flotte servait en Méditerranée.

Notre présence sur toutes les Mers était indispensable pour le soutien de la magnifique entreprise réalisée pour la conquête de l'Empire Colonial français.
Sa réussite ne s'explique que par la volonté obstinée de quelques militaires qui profitent de l'occasion fournie sur le terrain au bon moment. Elle ne sera jamais le fruit du hasard.

L'expansion coloniale constitue aussi une pièce maîtresse du programme de la République. Gambetta, Jules Ferry, Paul Bert dès 1880 l'appuyent, tandis que Clemenceau y sera toujours hostile car, selon lui, elle impliquait de notre part la renonciation à l'Alsace-Lorraine. En 1874 nous obtenons de la cour de Hué le protectorat de l'Annam, 1881 Tunis est occupée, 1882 Sarvognan de Brazza reconnaît l'Ogoué et le Congo, en 1885 nous sommes à Madagascar. L'expansion de la France outre-mer est largement avancée. De 1876 à 1897 nous conduisons une guerre victorieuse contre les Etats africains, en 1898 la mission Marchand arrive à Fachoda devançant les Anglais. La même année, la mission Fourreau-Lamy partie de Biskra atteint, par Ouargla, Temmasimin et Aïr. Le Hoggar est occupé en 1902 et le père de Foucault s'installe à Tamanrasset. En 1907 débute l'action de la France au Maroc. Depuis la métropole l'effort est soutenu par la Fondation de l'Union coloniale française, par la Ligue coloniale de la jeunesse française et l'Ecole coloniale fondée en 1893.

En 1900 Lyautey publie «les Lettres du Tonkin et de Madagascar». On comprend mieux le rôle et la mission de la France dans ces pays maintenant sous notre influence : reconstruire le village, créer le marché, établir l'école. La France apporte plus de sécurité, plus de richesses, plus de culture tout en respectant les coutumes locales. En réalité le colonialisme se présente dans l'opinion comme une forme de patriotisme, sans aucun doute notre commerce y trouvera son intérêt.

Pour toutes ces conquêtes, on ne peut qu'être étonnés par la faiblesse des moyens en hommes, engagés par la métropole et ce n'est qu'au moment de l'affaire de Langson, pour la conquête du Tonkin, que le gouvernement envoya 20000 hommes. Officiers et sous-officiers savaient s'adapter au pays, à ses moeurs, très vite ils recrutaient des autochtones, avec eux ils poursuivaient la pénétration du pays, le pacifiaient et le maintenaient en paix. Ils lèvent ainsi des troupes de souveraineté sur chaque territoire. A partir de 1905 on pensera à renforcer les effectifs du théâtre européen par les troupes des colonies en cas de conflit.

La conscription était établie en Algérie. En 1913 les troupes de l'outre-mer comptaient 165 000 hommes qui compléteront les 710000 hommes de la métropole.

La revue du 14 juillet 1913, comme le souligne L'Illustration du 15 juillet 1913, «aura une signifiance éloquente. Elle se fixe en chiffres clairs. Elle sonne haut et net comme la voix d'un peuple. La revue du 14 juillet 1913, qui restera la grande revue, la revue de nos deux armées, métropolitaine et coloniale, la revue de quarante drapeaux fut une apothéose remarquable de nos énergies civiques et militaires ralliées sous nos trois couleurs». Le spectacle comportait «cette fois, un pittoresque inédit dû à la présence de divers détachements de tirailleurs algériens, annamites, sénégalais, spahis et de cavaliers soudanais»... «Le président de la République... a répété à tous ses défenseurs de toutes les France d'au-delà des mers la confiance que la Patrie mettait en eux.»

La France mobilise le 1er août 1914, le 3 août l'Allemagne lui déclare la guerre. Le patriotisme, la volonté de se battre et de ne pas subir le diktat allemand donne au pays, aidé de son armée coloniale et de ses alliés, la force de lutter pendant quatre longues années, subissant des pertes inimaginables en 1914, et de remporter la victoire en 1918.

Le «grand dossier» de L'Illustration reprend en 1919 et regroupe les articles qui montreront à ses lecteurs comment notre pays victorieux choisira sa politique de défense et désira en bien peu de temps se préparer à nouveau à la bataille contre l'Allemagne nazie.

L'armée française avait gagné le respect du monde entier. La paix revenue, l'état-major tira les enseignements des combats. Quand on relit les cahiers du général Buat, alors major-général, les rapports rédigés par les différents responsables, en particulier celui du général Etienne, le père des chars, sur la formation d'un corps blindé et motorisé, on s'aperçoit que les chefs de l'armée avaient tiré les conclusions de tout ce qu'avait été expérimenté dans les combats sur la mobilité des forces, les blindés, l'artillerie, les gaz. De même les enseignements sur l'emploi de l'aviation étaient probants : recherche du renseignement, appui direct des troupes engagées au sol, bombardement des arrières, emploi des parachutistes. On savait ce qu'apportait à la manoeuvre offensive un corps motorisé et notre pays était devenu la première puissance aéronautique.
Jusqu'en 1930 la France demeura dans l'euphorie de la victoire. Une fois de plus, tous étaient unanimes à vouloir conserver la paix, mais ils savaient aussi que la menace de guerre viendrait encore d'un conflit avec l'Allemagne. On se divisera entre ceux partisans de la force et de la fermeté, et les autres prêts à accepter une transaction même au prix élevé. Les premiers veulent une bonne armée, une défense efficace, l'exécution intégrale du traité de paix, les seconds cherchent l'entente avec une Allemagne démocratique, qui répudierait la politique de la force. Ainsi le traité de Locarno est-il approuvé par le Parlement à une très large majorité, car il consacre la réconciliation des adversaires et la paix semble scellée pour longtemps. Le gouvernement décide alors d'alléger les charges de la défense. Ce sera la loi de 1927. La durée du service militaire est ramenée à une année. Le régiment devient la base de l'organisation. On crée des centres de mobilisation qui accueilleront les réservistes en cas de rappel. Il n'y a pas de préparation militaire obligatoire pour la jeunesse. La doctrine de l'emploi des forces devient résolument défensive. Dès 1928, pour sa protection, la France entreprend face à l'Allemagne la construction d'une ligne fortifiée, la ligne Maginot, qui convaincra l'opinion pendant dix années que notre pays est à l'abri de toute invasion. La construction de ces ouvrages fait honneur à notre technique. Quand on les visite aujourd'hui on demeure émerveillé d'une réalisation aussi avancée dans l'équipement, l'agencement des champs de tir, l'adaptation des artilleries, la vie des personnels à l'intérieur. Mais, la ligne de défense ne sera pas prolongée le long de la frontière belge et lorsque le commandement envisagera la motorisation de l'Armée, la mécanisation de la cavalerie, le gouvernement précisera que le prix de la mise sur pied d'une grande unité blindée correspondait à celui d'un ouvrage de la ligne fortifiée et la préférence resta au béton. Il faudra attendre l'occupation de la rive gauche du Rhin par l'armée allemande pour se décider à la création de divisions légères mécaniques et de divisions cuirassées. Nos prototypes, chars, automitrailleuses étaient cependant nombreux et de qualité. En 1940 nous aurons 4 divisions légères mécanisées et 4 divisions cuirassées. Mais la doctrine d'emploi des chars les lie encore à l'infanterie et nos 3000 engins seront répartis en 100 bataillons de 30.

L'Allemagne articulera les siens en 10 divisions, les fameuses Panzerdivisionen. L'article du général Duval dans ce «grand dossier» sera lu avec le plus grand intérêt sur le sujet, son illustration par le peintre aux armées Brenet le rend particulièrement vivant. Ces matériels, on le comprit vite, exigeaient des personnels entraînés, instruits avec précision, aussi certains, comme le colonel de Gaulle, pensèrent-ils à une troupe de métier pour les servir.

Le 30 juin 1930 la France a évacué l'Allemagne. Elle maintient son influence sur les armées de la Pologne, de la «Petite Entente», ses industries leur fournissent armements et munitions. Des traités de défense la lient à la Tchécoslovaquie et la Pologne. L'opinion conserve la certitude de la qualité de son armée. Le 14 juillet 1930 marquera la célébration du centenaire de l'expédition Alger, après la troupe dont certaines unités ont revêtu les tenues de l'époque, les pachagas et les agas algériens défilent à cheval avec leurs burnous rouges sur lesquels brillent les décorations qu'ils ont gagnés et le maréchal Lyautey organise en 1931 l'Exposition coloniale. La crise marocaine due à la dissidence d'Abd El Krim a été maîtrisée, de même le soulèvement du djebel Druze au Moyen-Orient.

La France est à la tête d'un vaste empire en Asie et en Afrique. La Ligue maritime et coloniale entretient la flamme de la plus grande France dans les lycées. Le 1er février 1930, L'Illustration donnait à ses lecteurs l'organisation militaire dans la France d'outre-Mer avec des précisions que tout historien aujourd'hui appréciera. La pacification du Maroc n'est pas ter¬minée, elle le sera pour 1934 par la pénétration dans le Sahara occidental, qui assure la liaison du Maroc avec l'A.O. F. Les troupes d'Afrique du Nord et du reste de l'Empire pourront maintenant venir renforcer celles de métropole en cas de conflit, tout en maintenant l'intégrité des territoires.

En 1930 notre pays se croit encore victorieux et à l'abri du danger. La paix lui paraît assurée, d'autant plus que son rôle demeure prépondérant à la Société des nations à Genève où l'étude du désarmement se poursuit.
Sans s'en rendre bien compte, la France, pendant les trois années suivantes, verra les périls s'annoncer. L'Allemagne retrouve sa force et redevient menaçante en Europe. A partir de 1935 l'éventualité d'une nouvelle guerre hante les esprits.

Malheureusement, la doctrine défensive adoptée depuis 1927 nous interdit une prompte réaction militaire. Pour disposer d'une force d'intervention mobile, il aurait fallu accepter le rappel de trois classes de disponibles lorsque l'armée allemande traversait le Rhin et occupait Cologne, Mayence, Trêves. Notre pays se retrouvait maintenant dans la situation d'avant 1914. Alors le gouvernement Blum, comprenant le danger, lança un large programme de réarmement. Il restait trois années pour refaire notre retard pour développer nos usines d'armement, celles de l'aviation. L'article d'Henry Bouché sur les forces aériennes en Europe apporta la démonstration de la perte de la suprématie française dans ce dernier domaine. Rappelons que l'armée de l'air n'était devenue indépendante qu'en 1933.

Plus heureuses étaient les forces navales qui, sous l'impulsion de Georges Leygues, ministre de la Marine, obtint dès 1926 les crédits pour rénover notre flotte suivant un programme que décrit Raymond Lestonnat dans un article que les lecteurs de L'Illustration reçurent dès le 10 juillet 1926. En 1939 la flotte française était modernisée.

Après l'Anschluss, le 12 mars 1938, Hitler exigea l'occupation des Sudètes. On se prépare à la guerre et les affiches blanches de la mobilisation reparurent sur les murs. La France rappela 750 000 réservistes ; parmi eux nombreux ne seront libérés qu'en 1945, après avoir passé cinq longues années prisonniers en Allemagne. En 1938, la cohésion nationale n'était plus celle d'avant 1914. Notre pays venait de connaître cinq années de crises graves pour notre régime politique, l'agitation sociale, la propagande pacifiste. On jugea préférable d'abandonner notre alliée, la Tchécoslovaquie.

Cependant l'armée d'active restait solide, ses cadres s'abstenaient de prendre part aux querelles des partis. Avec abnégation ils servaient leur pays, entraînaient leurs unités, cherchaient à perfectionner les techniques. Tous s'attendaient à la guerre. Le 14 juillet 1939 l'armée française défilait magnifique sur les Champs-Elysées. Dans la tribune officielle, le sultan du Maroc, S.M. Mohammed V pouvait admirer la présentation des troupes marocaines en tenue orientale, le défilé impeccable des blindés, le passage des escadrilles dans le ciel.

Dès le mois d'août les réservistes étaient rappelés, la mobilisation à nouveau décrétée. La proposition des insoumis ne dépasse pas 1,5% . L'Allemagne ayant envahi la Pologne, la France lui déclarait la guerre le 3 septembre. L'Armée française était confiante, résolue, le pays aussi, nous pensions encore à la victoire de 1918.

En refermant ce passionnant dossier, le lecteur ne peut que se poser la question de savoir pourquoi un peuple, se souvenant de la défaite de 1870, capable pour assurer sa défense d'un effort militaire considérable devant déboucher sur la victoire de 1918, s'est retrouvé en 1940, après un mois de campagne, devant une écrasante défaite. On a beaucoup réfléchi sur les causes de ce drame. On doit retenir que confrontée avec les autres puissances, la France ne peut jamais baisser sa garde, si elle veut pouvoir accomplir sa mission dans le monde, affirmer sa volonté, conserver sa liberté de décision et d'action.

Général (C.R.) Georges LE DIBERDER
Directeur honoraire du Musée de l'Armée