LES PREMIERES ANNEES DE L'ILLUSTRATION
A l’origine de L’Illustration, dont le premier numéro, tiré sur les presses de l’imprimerie Lacrampe, porte la date du 4 mars 1843, se trouvent quatre hommes : Jean-Baptiste Alexandre Paulin (1793-1859), ancien directeur du journal Le National, Jacques-Julien Dubochet (1798-1868), Edouard Charton (1807-1890) et Adolphe-Laurent Joanne (1813-1881). Dans une France dirigée depuis treize ans par Louis-Philippe, tous les quatre sont des républicains dans l’âme, ennemis de tous les excès et partisans d’un bon ordre bourgeois, loin des tumultes. Charton, Paulin et Joanne ont suivi le même parcours : des études de droit, une bonne formation de juriste et la pratique du journalisme. Dubochet, quant à lui, connaît bien Joanne et Paulin, pour les avoir côtoyés au journal Le National. Avec son oncle, il a d’ailleurs contribué au financement de son lancement au début des années 1830. Leur pari est néanmoins audacieux et risqué.
La presse française qui dispose d’une relative liberté depuis 1830, possède déjà un magazine illustré, bien implanté : Le Magasin Pittoresque, fondé en 1833 par Edouard Charton en personne qui en assume la rédaction en chef. De l’autre côté de la Manche, on vient justement de lancer un hebdomadaire illustré, de grand format, L’Illustrated London News, qui réussit à joindre l’image aux textes pour les rendre moins austères et ouvrir aux lecteurs quelques fenêtres sur le monde. Charton qui a séjourné à plusieurs reprises en Angleterre compte bien s’en inspirer. Encore faut-il trouver des associés qui accepteront de partager les risques d’une publication à l’avenir incertain et dont on sait par avance qu’elle demandera une mise de fonds importante : la gravure sur bois et les salaires des graveurs expliquent que si l’on a lancé de nombreux journaux « de textes», la presse illustrée n’a guère fait d’émules en France, à part Le Magasin pittoresque. Jean-Baptiste Alexandre Paulin et Jacques-Julien Dubochet acceptent de relever le défi, alors que Lachevardière, qui a été approché, s’est défaussé. En tant qu’éditeurs, une fonction qui s’ajoute à celles qu’ils remplissent au National, ils se sont installés au 33 rue de Seine, qui sera le berceau de L’Illustration. Au terme de quelques mois d’existence, en novembre 1845, la société éditrice de L’Illustration dispose d’un capital réparti en 200 actions de 2.500 francs, toutes nominatives et au porteur. Paulin en possède 75, tout comme Dubochet, ce qui leur vaudra le titre de gérants responsables. Charton, qui assumera en même temps les fonctions de rédacteur en chef du Magasin pittoresque et de L’Illustration pendant la première année, n’en a que deux qu’il revendra dès l’automne 1844 pour la coquette somme de 60.000 Francs ! L’administration générale est confiée à Armand-Gilbert Le Chevalier. En fait, c’est Paulin et Dubochet qui prennent le risque principal, non seulement au vu de leurs responsabilités en cas de déroute financière, mais aussi parce qu’il investissent chacun dans l’affaire plus de 180.000 francs.
Le premier numéro sort, «le 4 mars de l’année 1843, à trois heures quarante-sept minutes(…) du sein de sa mère, la mécanique de MM. Lacrampe et Cie ». Un an plus tard, on évoquera « un enfantement long et laborieux » tout en ajoutant que « malgré quelques symptômes de faiblesse apparente, le nouveau né annonçait une constitution vigoureuse ». L’Illustration qui entend se placer sur le terrain politique et culturelle a élu domicile au 33 rue de Seine. Il y restera jusqu’au 1er juillet 1844, date à laquelle il ira s’installer au 60 rue de Richelieu, pour n’en repartir qu’à la fin de 1880, en s’établissant rue Saint-Georges. Le montant de l’abonnement annuel a été fixé à 30 francs pour Paris et à 32 francs pour la province. C’est l’équivalent de plus de 200 heures de travail pour un manœuvre vivant en province. Quant à la vente au numéro, elle est fixée à 75 centimes. C’est 7,5 fois plus que le Magasin pittoresque vendu 10 centimes. L’Illustration cible donc, dès l’origine, une clientèle bourgeoise aisée et avant tout parisienne, qu’il ne faudra pas décevoir. Pour ce faire, les buts des fondateurs sont clairement exposés à la une : « Puisque le goût du siècle a relevé le mot d’Illustration, prenons-le ! Nous nous en servirons pour caractériser un nouveau mode de la presse nouvelliste. Ce que veut ardemment le public aujourd’hui, ce qu’il demande avant tout le reste, c’est d’être mis aussi clairement que possible au courant de ce qui se passe. Les journaux sont-ils en état de satisfaire ce désir avec les récits courts et incomplets auxquels ils sont naturellement obligés de s’en tenir ? C’est ce qui ne paraît pas. Ils ne parviennent le plus souvent à faire entendre les choses que vaguement, tandis qu’il faudrait si bien les entendre que chacun s’imaginât les avoir vues. N’y a-t-il donc aucun moyen dont la presse puisse s’enrichir pour mieux atteindre son but sur ce point ? Oui, il y en a un : c’est un moyen ancien, longtemps négligé, mais héroïque et c’est de ce moyen que nous prétendons nous servir : lecteurs, vous venez de nommer la gravure sur bois (…). Nous voulons qu’avant peu, il n’y ait pas en Europe un seul personnage, ministre, orateur, poète, général, d’un nom capable à quelque titre que ce soit de retenir dans le public qui n’ait payé à notre journal le tribut de son portrait ».
Dans les mêmes propos liminaires, on martèle le rôle fondamental que va jouer l’image dans le développement du savoir : « Combien les descriptions écrites, même les meilleures sont pâles, inanimées, toujours incomplètes et difficiles à comprendre en comparaison de la représentation des mêmes choses (…). Les choses qui arrivent à l’esprit par l’oreille sont moins faciles à retenir que celles qui arrivent par les yeux ». Bref, le lecteur potentiel est averti : « L’Illustration sera un vaste annuaire où seront racontés et figurés, à leurs dates, tous les faits que l’histoire contemporaine enregistre dans ses annales (…). L’Illustration sera un miroir fidèle où viendra se réfléchir la vie de la société au XIXème siècle » . Belle profession de foi. Encore faudra-t-il que la gravure soit attrayante et l’on sait que Charton peut se montrer intraitable quant aux choix, n’hésitant pas à demander au dessinateur ou aux graveurs de revoir telle ou telle image, dont l’insertion a été différée.
Très rapidement, L’Illustration se soucie de renforcer les liens avec ses lecteurs en les faisant pénétrer par l’image au cœur du journal. Pour le premier anniversaire de la parution, le 2 mars 1844, la revue dévoile « Les mystères de l’Illustration » dans un long article qui promène le lecteur dans les coulisses du journal, accompagné de plusieurs gravures. On peut ainsi découvrir une gravure de Best, d’après un dessin de Valentin, montrant la tenue du « bureau de rédaction ». On y aperçoit Paulin, reconnaissable à sa chevelure blanche opulente. A sa droite, se tient Dubochet. On voit aussi Charton et Joanne. Le « conseil » qui sélectionne les informations reçues compte onze membres mais la légende précise que « les membres qui persistent à rester cachés sous le voile de l’anonyme (…) ne se reposent jamais ». Il leur faut « se tenir au courant de tout ce qui arrive dans le monde, chercher à prévoir tout ce qui doit arriver, faire concourir au but commun, pour la plus grande satisfaction des lecteurs, des activités diverses, éparpillées aux quatre coins du monde, telle est la tâche du comité de rédaction, sorte d’aréopage qui siège en permanence et devant lequel viennent se faire juger des articles sur toutes sortes de sujets, des nouvelles, des romans, des dessins, des gravures, des romances ». En fait, par sa double fonction de rédacteur en chef et de gérant, Paulin assume à la fois la responsabilité conjointement avec l’auteur de l’article en cas de poursuites, et le risque financier, en tant que bailleur de fonds. Si le texte incriminé n’est pas signé, il en sera le seul et unique responsable. On comprend mieux, dès lors, que le choix des dépêches reçues par la rédaction soit sévère. Cela explique aussi la prééminence que va prendre Paulin au fil des numéros. Il connaît d’ailleurs les risques encourus puisqu’il a été déjà condamné en tant que directeur du National: une première fois en 1833, à un mois de prison et 5.000 francs d’amende, et une seconde fois en 1834, à deux mois d’emprisonnement.
Dans le même numéro, le dessinateur Valentin s’attarde sur le bureau d’abonnement de L’Illustration, « journal universel paraissant tous les samedis avec gravures sur tous les sujets ». Au rez-de-chaussée et à l’étage, du 60 rue Richelieu, dans les galeries de l’ancienne librairie Bossange, la foule se presse dans une joyeuse bousculade : « Quoi de plus richement variée que cette collection de visages ou chacun de vous, lecteurs aimables, a le droit de chercher le sien ». Un peu plus loin, un rédacteur s’enhardit à préciser que « depuis la fondation de L’Illustration, la circulation a presque doublé dans Paris ! » (Sic). Quelques pages à tourner et on découvre les graveurs, dans leur atelier. De jour, une première gravure nous en montre une vingtaine. Sur une autre, ils sont huit à travailler de nuit. L’Illustration est alors imprimée chez Martinet, dans l’ancienne rue Poupet, qui disparaîtra lors de l’ouverture du boulevard Saint-Michel, en 1859. On explique comment se déroule « la relève » dans l’atelier, à la tombée de la nuit : « Les tables qui avoisinent les fenêtres sont abandonnées. Tous les graveurs chargés à tour de rôle de passer la nuit, se réunissent autour des tables circulaires rangées de distance en distance. C’est un spectacle des plus curieux. Les rayons de la grosse lampe qui s’élève au centre de chaque table, traversent des globes de verre remplis d’eau, répandent une lumière tellement éclatante sur les mains, les figures, les burins et les bois de chaque graveur, que tout le reste du salon paraît plongé dans une obscurité profonde ». Ce mode d’éclairage et de travail sera maintenu pendant au moins quatre décennies.
Quelques pages plus loin, on initie les abonnésauxquels l’article est dédié aux étapes de fabrication de la revue, au-delà de la seule gravure et de la sélection des articles, jusqu’à l’étape finale de l’impression sur « une machine qui fait à elle seule plus de besogne que vingt hommes. Elle imprime 600 numéros par heure et huit ouvriers ne pourraient dans le même espace de temps en imprimer, à la presse à main, que 200. Au fur et à mesure qu’ils sont imprimés, les numéros du samedi matin sont transportés dans l’atelier des brocheurs où plus de cinquante personnes sont occupées à les plier, à les mettre sous bandes. De là, les uns partent pour la poste, les autres sont immédiatement enlevés par des porteurs chargés de les remettre à Paris, aux souscripteurs. Un certain nombre revient rue de Seine, n°33, au bureau d’abonnement où ils se vendent séparément, par collections mensuelles ou en volumes. Puis imprimeurs, brocheurs, porteurs se reposent pendant quelques jours de leurs fatigues ou passent à d’autres exercices en attendant que le numéro suivant réclame l’emploi de leur temps. Seuls le comité de rédaction et les graveurs ne se reposent jamais. On n’a plus à s’occuper du présent, il faut songer à l’avenir ».
Des différentes modernisations de l’imprimerie, le lecteur sera tenu au courant : sans aller jusqu’au célèbre numéro de juillet 1933 décrivant dans le détail l’imprimerie de Bobigny, on découvre dans le numéro du 30 juillet 1864 une gravure de Jules Gaildrau montrant la nouvelle presse mécanique Alauzet « à retiration avec marge à décharge et à mouvement direct ». Sous la direction de Paulin, L’Illustration connaîtra au moins quatre imprimeurs différents : après Lacrampe, ce sera Martinet puis Firmin-Didot et Plon. Il faudra attendre les années 1880 pour que le journal devienne son propre imprimeur. Dans le même souci de « transparence », le dessinateur Worms montrera Durand-Brager, correspondant de L’Illustration en Crimée, accomplissant son travail, crayon et bloc de papier en main. Tout en établissant des croquis de reconnaissance pour le ministère de la guerre en 1856, il travaille aussi pour L’Illustration. Pour gagner de nouveaux lecteurs, on n’hésitera pas s’afficher dans Paris sur une centaine de kiosques lumineux flambants neufs promus « nouveaux bureaux de vente ». Dans le numéro du 29 août 1857, une gravure de Jules Gaildrau fait découvrir « ces élégants pavillons octogones » qui vont remplacer les baraques des marchands de journaux qualifiées de vétustes et d’une saleté « repoussante ».
Ce contact avec les lecteurs se retrouve aussi dans la rubrique intitulée Correspondance, un courrier des lecteurs avant la lettre. Certains d’entre eux vont jusqu’à faire des offres de services à la revue, se proposant de relater tel ou tel événement. D’autres avancent des idées d’articles, de reportages. Souvent, il est question des gravures publiées par L’Illustration : on critique tel détail ou on applaudit à leur authenticité, mais comme l’avaient pressenti les fondateurs, on ne reste pas insensibles. Ces mêmes lecteurs ont d’ailleurs de quoi être comblé par les 1.600 gravures et vignettes qui ornent les 52 livraisons annuelles. Pour la seule période où Paulin tient la barre, entre 1843 et 1859, on doit dépasser les 25.000. Ces échanges de lettres permettent aussi d’affiner la connaissance du lectorat et donc de s’y adapter : « Nous avons à faire à un public de deux sortes, peut-on lire dans un courrier adressé par l’Illustration aux libraires éditeurs de livres illustrés : public aisé mais peu curieux et grand consommateur de lectures frivoles ; public assez curieux, mais pauvre et mal dirigé dans le choix de ses livres d’instruction ».
Dans les numéros des premières années, les plus incertaines, L’Illustration renferme de nombreux articles et gravures témoignant des progrès techniques : l’essor des chemins de fer, le développement de la photographie, la conquête balbutiante des airs, avec des machines volantes, la colonisation de l’Algérie, forcément porteuse de « civilisation » sont quelques uns des grands thèmes. La vie politique, sans être absente, est l’objet d’un traitement particulier, avec la rubrique « Histoire de la semaine », qui vise à maintenir une neutralité relative. Les salons artistiques, la vie littéraire, la mode meublent aussi les pages. S’il arrive à L’Illustration de prendre des positions plus marquées, c’est souvent à l’encontre des mouvements sociaux. Il faut aller dans le sens de ce qu’attend le lectorat bourgeois, soucieux de tranquillité et d’ordre social établi. On ne s’étonnera donc pas que les manifestations parisiennes de juin 1848 soient traitées de manière négative, par le texte et par l’image. Le tout est traité sur 16 pages, sans couverture, de format grand in-quarto qui reste facilement maniable. Sous le titre L’Illustration journal universel, avec une gravure qui représentera longtemps la Seine et un pont de Paris, figurent immuablement les informations pratiques telles que numéro et date de l’exemplaire, numéro du Tome pour la reliure, montant des abonnements, adresse, prix au numéro, nom du directeur gérant. Le tout s’étale sur le tiers supérieur de la page de une. Le texte étant disposé sur trois colonnes, il est entrecoupé de nombreuses gravures qui occupent un espace variable, depuis la simple vignette, jusqu’à la gravure en demi page ou en pleine page. Compte tenu des contraintes de la gravure (une fois réalisée, elle ne peut être ni agrandie, ni réduite), ce sera aux textes de se plier à l’image.
Dans les 16 premières années d’existence, correspondant à « l’ère Paulin », on commencera aussi à réaliser des gravures d’après photographie et non plus seulement dessin. La légende le mentionne le plus souvent, avec le nom du photographe, la localisation. Leur nombre reste toutefois très limité avec moins de 1% des images publiés durant cette période. Certaines proviennent de photographes et de studios renommés. L’Illustration semble avoir un faible pour les grandes inaugurations, les célébrations, les arrivées ou les départs, voire pour les grands banquets, sans oublier les manœuvres militaires et, sous le Second Empire, les grands déplacements de l’empereur Napoléon III. Sans qu’il soit question de donner une image sombre de l’actualité, il faut bien aussi évoquer les catastrophes naturelles, entre tremblements de terre, inondations, grands incendies. Une fois retenue par le comité de rédaction, la photographie doit passer par les mains du graveur qui préfère les portraits ou les paysages aux scènes de rue. L’avant dernière page s’ouvre aux annonces et publicités, génératrices de revenus complémentaires à la vente aux numéros et aux abonnements. Leur part restera toutefois modeste : en 1859, l’année du décès de Paulin, le produit net des annonces sera estimé à 10.000 francs pour un chiffre d’affaires de plus de 700.000 francs.
Sous la direction active de Paulin, L’Illustration est parvenue à surmonter l’épreuve de la Révolution de 1848. Certes, il a fallu renoncer pour la première fois à publier le numéro du 1er juillet 1848, à la suite des journées insurrectionnelles du 22 au 26 juin. On se rattrapera, dès la semaine suivante en publiant un numéro spécial, avec datation des 1er-8 juillet 1848, intégralement consacré aux événements parisiens. Il ne compte pas moins de 33 gravures dont deux ont été réalisées d’après des daguerréotypes. Elles montrent des vues des barricades érigées rue Saint-Maur-Popincourt, en opposant l’avant et l’après barricade, suite à l’intervention de la garde nationale. Un moyen pour L’Illustration de rappeler, s’il en était besoin, de quel côté penchent ses dirigeants, au diapason de leur lectorat. La revue parviendra, sans grands encombres, à traverser La Seconde république puis le Second empire. Ce qui ne veut pas dire que le pouvoir ne garde pas un œil sur elle. Dans un rapport adressé en novembre 1857 au ministre de l’intérieur par le commissaire de la librairie, on trouve un portrait fouillé de Paulin et une étude circonstanciée sur la situation du journal, dans sa quinzième année d’existence : « M. Paulin (…) est un homme dont l’esprit est cultivé et les idées bien arrêtées (…). Il est très lié avec M. Thiers et lui est fort dévoué ». A propos de L’Illustration, il écrit : « Cette publication vraiment remarquable par son immense collection de dessins gravés sur bois et qui a eu, il y six ans, un tirage de 30.000 exemplaires, ne profite qu’en partie à M. Paulin et c’est, assure-t-on, M. Firmin-Didot (l’imprimeur, ndlr) qui en recueille le meilleur produit ». Si Paulin est un bon homme de plume, ses qualités de gestionnaire sont sérieusement mises en cause : « M. Paulin a peu réussi et il a essuyé des infortunes commerciales, non suivies cependant de faillites déclarées, que je crois être au nombre de deux. La première vers 1837 ou 1838, l’autre en 1848. Voilà qui l’a placé sous la tutelle de ses créanciers devenus ses associés. En résumé, M. Paulin n‘a pu se faire libraire, il est resté journaliste de l’école du National, avec les préjugés, le style de cette coterie politique ». Le rapport résume en trois lignes le parcours politique de Paulin, face aux événements proches: « En 1848, M. Paulin s’est tenu à l’écart et personne ne l’a dérangé. Aujourd’hui il suit la même conduite. C’est d’ailleurs un homme honorable ».
Sur l’apport de Paulin à la pratique journalistique, Jean-Noël Marchandiau n’hésite pas à voir en lui un véritable rénovateur du journalisme et des techniques de l’information. Une rénovation qu’il décline en cinq méthodes : « Le recours à la lecture de la presse étrangère ; l’envoi de correspondants sur le théâtre des événements ; la collaboration des lecteurs de L’Illustration répartis aux quatre coins du monde ; une technique nouvelle d’exposition des faits ; enfin le classique appel aux agences. Il explore donc complètement, conclut l’historien de L’Illustration, le vaste champ de recherche de l’information à la source, ce qui, fait nouveau pour l’époque, deviendra la base du journalisme moderne » (extrait de Marchandiau, J-N.,L’Illustration 1843-1944, vie et mort d’un journal, éd. Privat, 1987).
Les lecteurs de L’Illustration semblent lui en savoir gré, si l’on s’en tient aux chiffres du tirage: de 13.000 exemplaires en 1843, lors du lancement, L’Illustration a ensuite piétiné entre 16 et 17.000 exemplaires, jusqu’à 1847, année où les chiffres dégringolent à 12.000 exemplaires, ce qui peut expliquer le passage financier délicat évoqué dans le rapport cité plus haut. Avec la révolution de 1848, le journal semble se refaire une santé, en bondissant à 35.000 exemplaires, avant de redescendre à moins de 16.000 entre 1850 et 1854. Des chiffres qui remonteront à plus de 20.000 dans les années 1855-1859. La plus grande partie des lecteurs sont des abonnés, généralement fidèles, d’année en année et bientôt de génération en génération. En avançant ainsi le montant de l’abonnement, ils assurent une meilleure sécurité que les acheteurs au numéro, parfois infidèles. Une autre source de revenus sera constituée par la publication d’un copieux almanach annuel, dont le premier exemplaire sort dès 1854. Avec ses 16 pages hebdomadaires, parfois rehaussées de gravures hors-texte, L’Illustration constitue en fin d’année d’une somme de 832 pages dans un format grand in-quarto (280/320 mm). Une somme que l’on va très vite se soucier de conserver en faisant relier les fascicules, à raison de deux volumes par an. C’est aussi Paulin qui lance la publication des premiers numéros hors série, en supplément aux 52 numéros ordinaires. Le premier semble avoir été dès 1844 celui consacré aux Chemins de fer du nord. En 1853, sont proposés deux tomes pour présenter un Tableau de Paris, La guerre d’Italie en 1859 ou Les voyages de l’empereur et de l’impératrice dans les départements de l’ouest en 1858 en sont d’autres exemples.
Lorsque Paulin disparaît en novembre 1859, la pérennité du titre n’est pas encore complètement assurée, mais L’Illustration a réussi à s’inscrire dans le paysage de la presse et elle fait désormais figure de référence. La presse, y compris au-delà des frontières, saluera son parcours. Dans L’indépendance belge, on peut lire : « On mésestime et on ignore encore les conditions nouvelles introduites dans le journalisme par cette revue et ce musée hebdomadaire qui s’ouvre à toutes les manifestations de l’art de la science et des lettres et qui a tant contribué à rectifier et à assurer le goût. M. Paulin accueillait avec affabilité tous ceux qui venaient frapper à la porte du journal. Quant à lui, se réservant la rédaction du bulletin politique hebdomadaire, il savait au milieu des exigences plus étroites qui lui étaient imposées, par sa double qualité de journal illustré, dire toute sa pensée, sans impudence, sans faiblesse ». Tout est dit.
Paulin disparu, sa succession ne semble guère poser de problème et c’est vers son fils, Victor Paulin que se porte le choix du conseil, avec l’assentiment du ministre de l’Intérieur. Il n’exercera la direction que quelques mois, préférant réaliser son héritage en vendant les actions qu’il détenait. Le 1er mai 1860, c’est Auguste Marc qui prend la direction de L’Illustration.
La presse française qui dispose d’une relative liberté depuis 1830, possède déjà un magazine illustré, bien implanté : Le Magasin Pittoresque, fondé en 1833 par Edouard Charton en personne qui en assume la rédaction en chef. De l’autre côté de la Manche, on vient justement de lancer un hebdomadaire illustré, de grand format, L’Illustrated London News, qui réussit à joindre l’image aux textes pour les rendre moins austères et ouvrir aux lecteurs quelques fenêtres sur le monde. Charton qui a séjourné à plusieurs reprises en Angleterre compte bien s’en inspirer. Encore faut-il trouver des associés qui accepteront de partager les risques d’une publication à l’avenir incertain et dont on sait par avance qu’elle demandera une mise de fonds importante : la gravure sur bois et les salaires des graveurs expliquent que si l’on a lancé de nombreux journaux « de textes», la presse illustrée n’a guère fait d’émules en France, à part Le Magasin pittoresque. Jean-Baptiste Alexandre Paulin et Jacques-Julien Dubochet acceptent de relever le défi, alors que Lachevardière, qui a été approché, s’est défaussé. En tant qu’éditeurs, une fonction qui s’ajoute à celles qu’ils remplissent au National, ils se sont installés au 33 rue de Seine, qui sera le berceau de L’Illustration. Au terme de quelques mois d’existence, en novembre 1845, la société éditrice de L’Illustration dispose d’un capital réparti en 200 actions de 2.500 francs, toutes nominatives et au porteur. Paulin en possède 75, tout comme Dubochet, ce qui leur vaudra le titre de gérants responsables. Charton, qui assumera en même temps les fonctions de rédacteur en chef du Magasin pittoresque et de L’Illustration pendant la première année, n’en a que deux qu’il revendra dès l’automne 1844 pour la coquette somme de 60.000 Francs ! L’administration générale est confiée à Armand-Gilbert Le Chevalier. En fait, c’est Paulin et Dubochet qui prennent le risque principal, non seulement au vu de leurs responsabilités en cas de déroute financière, mais aussi parce qu’il investissent chacun dans l’affaire plus de 180.000 francs.
Le premier numéro sort, «le 4 mars de l’année 1843, à trois heures quarante-sept minutes(…) du sein de sa mère, la mécanique de MM. Lacrampe et Cie ». Un an plus tard, on évoquera « un enfantement long et laborieux » tout en ajoutant que « malgré quelques symptômes de faiblesse apparente, le nouveau né annonçait une constitution vigoureuse ». L’Illustration qui entend se placer sur le terrain politique et culturelle a élu domicile au 33 rue de Seine. Il y restera jusqu’au 1er juillet 1844, date à laquelle il ira s’installer au 60 rue de Richelieu, pour n’en repartir qu’à la fin de 1880, en s’établissant rue Saint-Georges. Le montant de l’abonnement annuel a été fixé à 30 francs pour Paris et à 32 francs pour la province. C’est l’équivalent de plus de 200 heures de travail pour un manœuvre vivant en province. Quant à la vente au numéro, elle est fixée à 75 centimes. C’est 7,5 fois plus que le Magasin pittoresque vendu 10 centimes. L’Illustration cible donc, dès l’origine, une clientèle bourgeoise aisée et avant tout parisienne, qu’il ne faudra pas décevoir. Pour ce faire, les buts des fondateurs sont clairement exposés à la une : « Puisque le goût du siècle a relevé le mot d’Illustration, prenons-le ! Nous nous en servirons pour caractériser un nouveau mode de la presse nouvelliste. Ce que veut ardemment le public aujourd’hui, ce qu’il demande avant tout le reste, c’est d’être mis aussi clairement que possible au courant de ce qui se passe. Les journaux sont-ils en état de satisfaire ce désir avec les récits courts et incomplets auxquels ils sont naturellement obligés de s’en tenir ? C’est ce qui ne paraît pas. Ils ne parviennent le plus souvent à faire entendre les choses que vaguement, tandis qu’il faudrait si bien les entendre que chacun s’imaginât les avoir vues. N’y a-t-il donc aucun moyen dont la presse puisse s’enrichir pour mieux atteindre son but sur ce point ? Oui, il y en a un : c’est un moyen ancien, longtemps négligé, mais héroïque et c’est de ce moyen que nous prétendons nous servir : lecteurs, vous venez de nommer la gravure sur bois (…). Nous voulons qu’avant peu, il n’y ait pas en Europe un seul personnage, ministre, orateur, poète, général, d’un nom capable à quelque titre que ce soit de retenir dans le public qui n’ait payé à notre journal le tribut de son portrait ».
Dans les mêmes propos liminaires, on martèle le rôle fondamental que va jouer l’image dans le développement du savoir : « Combien les descriptions écrites, même les meilleures sont pâles, inanimées, toujours incomplètes et difficiles à comprendre en comparaison de la représentation des mêmes choses (…). Les choses qui arrivent à l’esprit par l’oreille sont moins faciles à retenir que celles qui arrivent par les yeux ». Bref, le lecteur potentiel est averti : « L’Illustration sera un vaste annuaire où seront racontés et figurés, à leurs dates, tous les faits que l’histoire contemporaine enregistre dans ses annales (…). L’Illustration sera un miroir fidèle où viendra se réfléchir la vie de la société au XIXème siècle » . Belle profession de foi. Encore faudra-t-il que la gravure soit attrayante et l’on sait que Charton peut se montrer intraitable quant aux choix, n’hésitant pas à demander au dessinateur ou aux graveurs de revoir telle ou telle image, dont l’insertion a été différée.
Très rapidement, L’Illustration se soucie de renforcer les liens avec ses lecteurs en les faisant pénétrer par l’image au cœur du journal. Pour le premier anniversaire de la parution, le 2 mars 1844, la revue dévoile « Les mystères de l’Illustration » dans un long article qui promène le lecteur dans les coulisses du journal, accompagné de plusieurs gravures. On peut ainsi découvrir une gravure de Best, d’après un dessin de Valentin, montrant la tenue du « bureau de rédaction ». On y aperçoit Paulin, reconnaissable à sa chevelure blanche opulente. A sa droite, se tient Dubochet. On voit aussi Charton et Joanne. Le « conseil » qui sélectionne les informations reçues compte onze membres mais la légende précise que « les membres qui persistent à rester cachés sous le voile de l’anonyme (…) ne se reposent jamais ». Il leur faut « se tenir au courant de tout ce qui arrive dans le monde, chercher à prévoir tout ce qui doit arriver, faire concourir au but commun, pour la plus grande satisfaction des lecteurs, des activités diverses, éparpillées aux quatre coins du monde, telle est la tâche du comité de rédaction, sorte d’aréopage qui siège en permanence et devant lequel viennent se faire juger des articles sur toutes sortes de sujets, des nouvelles, des romans, des dessins, des gravures, des romances ». En fait, par sa double fonction de rédacteur en chef et de gérant, Paulin assume à la fois la responsabilité conjointement avec l’auteur de l’article en cas de poursuites, et le risque financier, en tant que bailleur de fonds. Si le texte incriminé n’est pas signé, il en sera le seul et unique responsable. On comprend mieux, dès lors, que le choix des dépêches reçues par la rédaction soit sévère. Cela explique aussi la prééminence que va prendre Paulin au fil des numéros. Il connaît d’ailleurs les risques encourus puisqu’il a été déjà condamné en tant que directeur du National: une première fois en 1833, à un mois de prison et 5.000 francs d’amende, et une seconde fois en 1834, à deux mois d’emprisonnement.
Dans le même numéro, le dessinateur Valentin s’attarde sur le bureau d’abonnement de L’Illustration, « journal universel paraissant tous les samedis avec gravures sur tous les sujets ». Au rez-de-chaussée et à l’étage, du 60 rue Richelieu, dans les galeries de l’ancienne librairie Bossange, la foule se presse dans une joyeuse bousculade : « Quoi de plus richement variée que cette collection de visages ou chacun de vous, lecteurs aimables, a le droit de chercher le sien ». Un peu plus loin, un rédacteur s’enhardit à préciser que « depuis la fondation de L’Illustration, la circulation a presque doublé dans Paris ! » (Sic). Quelques pages à tourner et on découvre les graveurs, dans leur atelier. De jour, une première gravure nous en montre une vingtaine. Sur une autre, ils sont huit à travailler de nuit. L’Illustration est alors imprimée chez Martinet, dans l’ancienne rue Poupet, qui disparaîtra lors de l’ouverture du boulevard Saint-Michel, en 1859. On explique comment se déroule « la relève » dans l’atelier, à la tombée de la nuit : « Les tables qui avoisinent les fenêtres sont abandonnées. Tous les graveurs chargés à tour de rôle de passer la nuit, se réunissent autour des tables circulaires rangées de distance en distance. C’est un spectacle des plus curieux. Les rayons de la grosse lampe qui s’élève au centre de chaque table, traversent des globes de verre remplis d’eau, répandent une lumière tellement éclatante sur les mains, les figures, les burins et les bois de chaque graveur, que tout le reste du salon paraît plongé dans une obscurité profonde ». Ce mode d’éclairage et de travail sera maintenu pendant au moins quatre décennies.
Quelques pages plus loin, on initie les abonnésauxquels l’article est dédié aux étapes de fabrication de la revue, au-delà de la seule gravure et de la sélection des articles, jusqu’à l’étape finale de l’impression sur « une machine qui fait à elle seule plus de besogne que vingt hommes. Elle imprime 600 numéros par heure et huit ouvriers ne pourraient dans le même espace de temps en imprimer, à la presse à main, que 200. Au fur et à mesure qu’ils sont imprimés, les numéros du samedi matin sont transportés dans l’atelier des brocheurs où plus de cinquante personnes sont occupées à les plier, à les mettre sous bandes. De là, les uns partent pour la poste, les autres sont immédiatement enlevés par des porteurs chargés de les remettre à Paris, aux souscripteurs. Un certain nombre revient rue de Seine, n°33, au bureau d’abonnement où ils se vendent séparément, par collections mensuelles ou en volumes. Puis imprimeurs, brocheurs, porteurs se reposent pendant quelques jours de leurs fatigues ou passent à d’autres exercices en attendant que le numéro suivant réclame l’emploi de leur temps. Seuls le comité de rédaction et les graveurs ne se reposent jamais. On n’a plus à s’occuper du présent, il faut songer à l’avenir ».
Des différentes modernisations de l’imprimerie, le lecteur sera tenu au courant : sans aller jusqu’au célèbre numéro de juillet 1933 décrivant dans le détail l’imprimerie de Bobigny, on découvre dans le numéro du 30 juillet 1864 une gravure de Jules Gaildrau montrant la nouvelle presse mécanique Alauzet « à retiration avec marge à décharge et à mouvement direct ». Sous la direction de Paulin, L’Illustration connaîtra au moins quatre imprimeurs différents : après Lacrampe, ce sera Martinet puis Firmin-Didot et Plon. Il faudra attendre les années 1880 pour que le journal devienne son propre imprimeur. Dans le même souci de « transparence », le dessinateur Worms montrera Durand-Brager, correspondant de L’Illustration en Crimée, accomplissant son travail, crayon et bloc de papier en main. Tout en établissant des croquis de reconnaissance pour le ministère de la guerre en 1856, il travaille aussi pour L’Illustration. Pour gagner de nouveaux lecteurs, on n’hésitera pas s’afficher dans Paris sur une centaine de kiosques lumineux flambants neufs promus « nouveaux bureaux de vente ». Dans le numéro du 29 août 1857, une gravure de Jules Gaildrau fait découvrir « ces élégants pavillons octogones » qui vont remplacer les baraques des marchands de journaux qualifiées de vétustes et d’une saleté « repoussante ».
Ce contact avec les lecteurs se retrouve aussi dans la rubrique intitulée Correspondance, un courrier des lecteurs avant la lettre. Certains d’entre eux vont jusqu’à faire des offres de services à la revue, se proposant de relater tel ou tel événement. D’autres avancent des idées d’articles, de reportages. Souvent, il est question des gravures publiées par L’Illustration : on critique tel détail ou on applaudit à leur authenticité, mais comme l’avaient pressenti les fondateurs, on ne reste pas insensibles. Ces mêmes lecteurs ont d’ailleurs de quoi être comblé par les 1.600 gravures et vignettes qui ornent les 52 livraisons annuelles. Pour la seule période où Paulin tient la barre, entre 1843 et 1859, on doit dépasser les 25.000. Ces échanges de lettres permettent aussi d’affiner la connaissance du lectorat et donc de s’y adapter : « Nous avons à faire à un public de deux sortes, peut-on lire dans un courrier adressé par l’Illustration aux libraires éditeurs de livres illustrés : public aisé mais peu curieux et grand consommateur de lectures frivoles ; public assez curieux, mais pauvre et mal dirigé dans le choix de ses livres d’instruction ».
Dans les numéros des premières années, les plus incertaines, L’Illustration renferme de nombreux articles et gravures témoignant des progrès techniques : l’essor des chemins de fer, le développement de la photographie, la conquête balbutiante des airs, avec des machines volantes, la colonisation de l’Algérie, forcément porteuse de « civilisation » sont quelques uns des grands thèmes. La vie politique, sans être absente, est l’objet d’un traitement particulier, avec la rubrique « Histoire de la semaine », qui vise à maintenir une neutralité relative. Les salons artistiques, la vie littéraire, la mode meublent aussi les pages. S’il arrive à L’Illustration de prendre des positions plus marquées, c’est souvent à l’encontre des mouvements sociaux. Il faut aller dans le sens de ce qu’attend le lectorat bourgeois, soucieux de tranquillité et d’ordre social établi. On ne s’étonnera donc pas que les manifestations parisiennes de juin 1848 soient traitées de manière négative, par le texte et par l’image. Le tout est traité sur 16 pages, sans couverture, de format grand in-quarto qui reste facilement maniable. Sous le titre L’Illustration journal universel, avec une gravure qui représentera longtemps la Seine et un pont de Paris, figurent immuablement les informations pratiques telles que numéro et date de l’exemplaire, numéro du Tome pour la reliure, montant des abonnements, adresse, prix au numéro, nom du directeur gérant. Le tout s’étale sur le tiers supérieur de la page de une. Le texte étant disposé sur trois colonnes, il est entrecoupé de nombreuses gravures qui occupent un espace variable, depuis la simple vignette, jusqu’à la gravure en demi page ou en pleine page. Compte tenu des contraintes de la gravure (une fois réalisée, elle ne peut être ni agrandie, ni réduite), ce sera aux textes de se plier à l’image.
Dans les 16 premières années d’existence, correspondant à « l’ère Paulin », on commencera aussi à réaliser des gravures d’après photographie et non plus seulement dessin. La légende le mentionne le plus souvent, avec le nom du photographe, la localisation. Leur nombre reste toutefois très limité avec moins de 1% des images publiés durant cette période. Certaines proviennent de photographes et de studios renommés. L’Illustration semble avoir un faible pour les grandes inaugurations, les célébrations, les arrivées ou les départs, voire pour les grands banquets, sans oublier les manœuvres militaires et, sous le Second Empire, les grands déplacements de l’empereur Napoléon III. Sans qu’il soit question de donner une image sombre de l’actualité, il faut bien aussi évoquer les catastrophes naturelles, entre tremblements de terre, inondations, grands incendies. Une fois retenue par le comité de rédaction, la photographie doit passer par les mains du graveur qui préfère les portraits ou les paysages aux scènes de rue. L’avant dernière page s’ouvre aux annonces et publicités, génératrices de revenus complémentaires à la vente aux numéros et aux abonnements. Leur part restera toutefois modeste : en 1859, l’année du décès de Paulin, le produit net des annonces sera estimé à 10.000 francs pour un chiffre d’affaires de plus de 700.000 francs.
Sous la direction active de Paulin, L’Illustration est parvenue à surmonter l’épreuve de la Révolution de 1848. Certes, il a fallu renoncer pour la première fois à publier le numéro du 1er juillet 1848, à la suite des journées insurrectionnelles du 22 au 26 juin. On se rattrapera, dès la semaine suivante en publiant un numéro spécial, avec datation des 1er-8 juillet 1848, intégralement consacré aux événements parisiens. Il ne compte pas moins de 33 gravures dont deux ont été réalisées d’après des daguerréotypes. Elles montrent des vues des barricades érigées rue Saint-Maur-Popincourt, en opposant l’avant et l’après barricade, suite à l’intervention de la garde nationale. Un moyen pour L’Illustration de rappeler, s’il en était besoin, de quel côté penchent ses dirigeants, au diapason de leur lectorat. La revue parviendra, sans grands encombres, à traverser La Seconde république puis le Second empire. Ce qui ne veut pas dire que le pouvoir ne garde pas un œil sur elle. Dans un rapport adressé en novembre 1857 au ministre de l’intérieur par le commissaire de la librairie, on trouve un portrait fouillé de Paulin et une étude circonstanciée sur la situation du journal, dans sa quinzième année d’existence : « M. Paulin (…) est un homme dont l’esprit est cultivé et les idées bien arrêtées (…). Il est très lié avec M. Thiers et lui est fort dévoué ». A propos de L’Illustration, il écrit : « Cette publication vraiment remarquable par son immense collection de dessins gravés sur bois et qui a eu, il y six ans, un tirage de 30.000 exemplaires, ne profite qu’en partie à M. Paulin et c’est, assure-t-on, M. Firmin-Didot (l’imprimeur, ndlr) qui en recueille le meilleur produit ». Si Paulin est un bon homme de plume, ses qualités de gestionnaire sont sérieusement mises en cause : « M. Paulin a peu réussi et il a essuyé des infortunes commerciales, non suivies cependant de faillites déclarées, que je crois être au nombre de deux. La première vers 1837 ou 1838, l’autre en 1848. Voilà qui l’a placé sous la tutelle de ses créanciers devenus ses associés. En résumé, M. Paulin n‘a pu se faire libraire, il est resté journaliste de l’école du National, avec les préjugés, le style de cette coterie politique ». Le rapport résume en trois lignes le parcours politique de Paulin, face aux événements proches: « En 1848, M. Paulin s’est tenu à l’écart et personne ne l’a dérangé. Aujourd’hui il suit la même conduite. C’est d’ailleurs un homme honorable ».
Sur l’apport de Paulin à la pratique journalistique, Jean-Noël Marchandiau n’hésite pas à voir en lui un véritable rénovateur du journalisme et des techniques de l’information. Une rénovation qu’il décline en cinq méthodes : « Le recours à la lecture de la presse étrangère ; l’envoi de correspondants sur le théâtre des événements ; la collaboration des lecteurs de L’Illustration répartis aux quatre coins du monde ; une technique nouvelle d’exposition des faits ; enfin le classique appel aux agences. Il explore donc complètement, conclut l’historien de L’Illustration, le vaste champ de recherche de l’information à la source, ce qui, fait nouveau pour l’époque, deviendra la base du journalisme moderne » (extrait de Marchandiau, J-N.,L’Illustration 1843-1944, vie et mort d’un journal, éd. Privat, 1987).
Les lecteurs de L’Illustration semblent lui en savoir gré, si l’on s’en tient aux chiffres du tirage: de 13.000 exemplaires en 1843, lors du lancement, L’Illustration a ensuite piétiné entre 16 et 17.000 exemplaires, jusqu’à 1847, année où les chiffres dégringolent à 12.000 exemplaires, ce qui peut expliquer le passage financier délicat évoqué dans le rapport cité plus haut. Avec la révolution de 1848, le journal semble se refaire une santé, en bondissant à 35.000 exemplaires, avant de redescendre à moins de 16.000 entre 1850 et 1854. Des chiffres qui remonteront à plus de 20.000 dans les années 1855-1859. La plus grande partie des lecteurs sont des abonnés, généralement fidèles, d’année en année et bientôt de génération en génération. En avançant ainsi le montant de l’abonnement, ils assurent une meilleure sécurité que les acheteurs au numéro, parfois infidèles. Une autre source de revenus sera constituée par la publication d’un copieux almanach annuel, dont le premier exemplaire sort dès 1854. Avec ses 16 pages hebdomadaires, parfois rehaussées de gravures hors-texte, L’Illustration constitue en fin d’année d’une somme de 832 pages dans un format grand in-quarto (280/320 mm). Une somme que l’on va très vite se soucier de conserver en faisant relier les fascicules, à raison de deux volumes par an. C’est aussi Paulin qui lance la publication des premiers numéros hors série, en supplément aux 52 numéros ordinaires. Le premier semble avoir été dès 1844 celui consacré aux Chemins de fer du nord. En 1853, sont proposés deux tomes pour présenter un Tableau de Paris, La guerre d’Italie en 1859 ou Les voyages de l’empereur et de l’impératrice dans les départements de l’ouest en 1858 en sont d’autres exemples.
Lorsque Paulin disparaît en novembre 1859, la pérennité du titre n’est pas encore complètement assurée, mais L’Illustration a réussi à s’inscrire dans le paysage de la presse et elle fait désormais figure de référence. La presse, y compris au-delà des frontières, saluera son parcours. Dans L’indépendance belge, on peut lire : « On mésestime et on ignore encore les conditions nouvelles introduites dans le journalisme par cette revue et ce musée hebdomadaire qui s’ouvre à toutes les manifestations de l’art de la science et des lettres et qui a tant contribué à rectifier et à assurer le goût. M. Paulin accueillait avec affabilité tous ceux qui venaient frapper à la porte du journal. Quant à lui, se réservant la rédaction du bulletin politique hebdomadaire, il savait au milieu des exigences plus étroites qui lui étaient imposées, par sa double qualité de journal illustré, dire toute sa pensée, sans impudence, sans faiblesse ». Tout est dit.
Paulin disparu, sa succession ne semble guère poser de problème et c’est vers son fils, Victor Paulin que se porte le choix du conseil, avec l’assentiment du ministre de l’Intérieur. Il n’exercera la direction que quelques mois, préférant réaliser son héritage en vendant les actions qu’il détenait. Le 1er mai 1860, c’est Auguste Marc qui prend la direction de L’Illustration.
JEAN-BAPTISTE ALEXANDRE PAULIN (1793-1859) Directeur - rédacteur en chef de 1843 à 1859
Né en 1793, Jean-Baptiste Alexandre Paulin a fait des études de droit, avant de verser dans la politique. Il se retrouve mêlé à la Conspiration de Belfort, en même temps que Dubochet. C’est ce qui lui vaudra à la fois d’être emprisonné et de comparaître devant la Cour d’Assises du Haut-Rhin. Avec Thiers et Carrel, il participe à la fondation du National. Il en sera à la fois le gérant et le rédacteur en chef. Malgré la loi de 1830 qui a instauré une relative liberté de la presse, Paulin est condamné en août 1833 à un mois de prison et à 5.000 francs d’amende. Il lui est reproché d’avoir rendu compte, de manière infidèle et un peu trop libre, d’une audience judiciaire. En réalité on veut lui faire payer ses analyses trop critiques, empreintes de mordant, et souvent pleines de clairvoyance à l’égard des hommes au pouvoir. Lorsque Paulin déplore ouvertement l’instauration de l’état de siège décrété sur la capitale, il se retrouve à nouveau en délicatesse avec la justice. Face à un procureur général aveuglé par la volonté de servir le régime et qui ira jusqu’à réclamer sa tête, il se retrouvera finalement absous. Ce qui ne l’empêchera pas, à nouveau en 1834, d’être condamné à deux mois d’emprisonnement, en tant que gérant du National. Une peine qu’il n’accomplira toutefois pas, ayant demandé à la purger à la « maison de santé de Madame Laurent ». A cette date, il abandonne le poste trop exposé de rédacteur en chef du National. De ce passage dans ce premier journal, il gardera l’habitude d’une grande exigence en matière d’écriture journalistique, faisant la chasse aux fautes de syntaxes, aux barbarismes, en promouvant une certaine élégance de style qui siéra aux lecteurs de L’Illustration.
Ayant abandonné la rédaction en chef du National, sans pour autant renoncer à y écrire, Paulin se rabat sur la librairie. Il a acquis en 1830 la librairie Sautelet dont le propriétaire venait de se suicider par dépit amoureux. Dans ses locaux du 33 rue de Seine qui hébergeront L’Illustration durant les premiers mois, il se lie avec Dubochet. Tous les deux seront à l’origine de la publication d’une série d’ouvrages volumineux et abondamment illustrés, tels que Gil Blas, de Lesage, ou Don Quichotte de Cervantès, dans une nouvelle traduction, le tout proposé en fascicules à relier. Si on y ajoute la profusion des gravures et les liens qui se tissent avec les dessinateurs et les ateliers de graveurs, on à l’ébauche de ce qui pourrait être un magazine illustré. Conscient de ce que ce type de presse peut s’implanter en France, malgré les risques inhérents à tout lancement, il est avec Dubochet le principal bailleur de fonds lors de la création de L’Illustration en 1843. Les arguments de Charton qui a séjourné en Angleterre pour y étudier le cas du London Illustrated News, l’ont convaincu de la viabilité du projet. Après quelques mois passés par ce dernier à la rédaction en chef, c’est Paulin qui va prendre en mains les rênes de la revue, avec la double fonction, la plus exposée, de gérant (responsable financier) et de rédacteur en chef (responsable légal). Bien que la direction reste officiellement collégiale, la personnalité de Paulin s’impose rapidement. Lors des Comités de rédaction qui siègent quotidiennement entre 12 et 18h00, c’est lui qui tranche le plus souvent, arrête le choix des articles et des gravures, voire repousse un article, dès lors qu’il pourrait exposer la publication aux foudres de la justice. Il se réserve la rédaction du bulletin politique hebdomadaire fixant l’orientation du journal.
Alors que l’avenir de L’Illustration semble plus solidement établi, il fait preuve d’un relatif détachement vis-à-vis de l’argent et il reste fidèle à ses idéaux de jeunesse. Son amitié pour Carrel, avec lequel il a été de la conspiration de Belfort, le pousse à publier ses œuvres politiques et littéraires. Comme ce sera le cas pour d’autres livres « difficiles », l’affaire n’est pas rentable et, pendant des années, la librairie militante de Paulin siphonnera une partie des revenus dégagés par L’Illustration. C’est également lui qui publiera L’histoire du consulat et de l’empire d’Adolphe Thiers, autre ami des jeunes années. On se souviendra aussi de ses appels lancés dans les colonnes de la revue en faveur des soldats, aussi bien français qu’anglais qui combattent dans la guerre de Crimée. Cet appel publié le 2 décembre 1854 permettra de collecter de l’argent pour envoyer aux combattants tabac, vin et autres réconforts.
Ses obsèques, en novembre 1859, réuniront quelques uns des grands personnages de l’époque : Adolphe Thiers et Jules Simon côtoieront Emile Littré et Rémusat, faisant se rejoindre politique et littérature. Les artistes, avec Gavarni et Horace Vernet, se tiendront aux côtés du monde des financiers représentés par Pereire. Ferdinand de Lesseps sera aussi là pour entendre Edmond Texier saluer « les idées généreuses » qui ont guidé la vie de Paulin. En disparaissant, il transmet le relais à son fils Victor, lequel se hâtera de revendre ses actions au bout de seulement quelques mois.
Ayant abandonné la rédaction en chef du National, sans pour autant renoncer à y écrire, Paulin se rabat sur la librairie. Il a acquis en 1830 la librairie Sautelet dont le propriétaire venait de se suicider par dépit amoureux. Dans ses locaux du 33 rue de Seine qui hébergeront L’Illustration durant les premiers mois, il se lie avec Dubochet. Tous les deux seront à l’origine de la publication d’une série d’ouvrages volumineux et abondamment illustrés, tels que Gil Blas, de Lesage, ou Don Quichotte de Cervantès, dans une nouvelle traduction, le tout proposé en fascicules à relier. Si on y ajoute la profusion des gravures et les liens qui se tissent avec les dessinateurs et les ateliers de graveurs, on à l’ébauche de ce qui pourrait être un magazine illustré. Conscient de ce que ce type de presse peut s’implanter en France, malgré les risques inhérents à tout lancement, il est avec Dubochet le principal bailleur de fonds lors de la création de L’Illustration en 1843. Les arguments de Charton qui a séjourné en Angleterre pour y étudier le cas du London Illustrated News, l’ont convaincu de la viabilité du projet. Après quelques mois passés par ce dernier à la rédaction en chef, c’est Paulin qui va prendre en mains les rênes de la revue, avec la double fonction, la plus exposée, de gérant (responsable financier) et de rédacteur en chef (responsable légal). Bien que la direction reste officiellement collégiale, la personnalité de Paulin s’impose rapidement. Lors des Comités de rédaction qui siègent quotidiennement entre 12 et 18h00, c’est lui qui tranche le plus souvent, arrête le choix des articles et des gravures, voire repousse un article, dès lors qu’il pourrait exposer la publication aux foudres de la justice. Il se réserve la rédaction du bulletin politique hebdomadaire fixant l’orientation du journal.
Alors que l’avenir de L’Illustration semble plus solidement établi, il fait preuve d’un relatif détachement vis-à-vis de l’argent et il reste fidèle à ses idéaux de jeunesse. Son amitié pour Carrel, avec lequel il a été de la conspiration de Belfort, le pousse à publier ses œuvres politiques et littéraires. Comme ce sera le cas pour d’autres livres « difficiles », l’affaire n’est pas rentable et, pendant des années, la librairie militante de Paulin siphonnera une partie des revenus dégagés par L’Illustration. C’est également lui qui publiera L’histoire du consulat et de l’empire d’Adolphe Thiers, autre ami des jeunes années. On se souviendra aussi de ses appels lancés dans les colonnes de la revue en faveur des soldats, aussi bien français qu’anglais qui combattent dans la guerre de Crimée. Cet appel publié le 2 décembre 1854 permettra de collecter de l’argent pour envoyer aux combattants tabac, vin et autres réconforts.
Ses obsèques, en novembre 1859, réuniront quelques uns des grands personnages de l’époque : Adolphe Thiers et Jules Simon côtoieront Emile Littré et Rémusat, faisant se rejoindre politique et littérature. Les artistes, avec Gavarni et Horace Vernet, se tiendront aux côtés du monde des financiers représentés par Pereire. Ferdinand de Lesseps sera aussi là pour entendre Edmond Texier saluer « les idées généreuses » qui ont guidé la vie de Paulin. En disparaissant, il transmet le relais à son fils Victor, lequel se hâtera de revendre ses actions au bout de seulement quelques mois.
JACQUES JULIEN DUBOCHET (1798-1868)
Né à Vevey, en Suisse, le 10 mai 1798, Jacques-Julien Dubochet était le fils d’un greffier de justice qui fut aussi député suisse. Après des études à l’Académie de Lausanne (1814-1817), il s’oriente vers le droit, afin de décrocher le brevet d’avocat. Il s’installe à Paris en 1820 et, dès 1825, on lui doit une Histoire des Suisses éditée par Raymond. Dans la capitale, il se mêle aux luttes politiques « menées par le carbonarisme », aux côtés de La Fayette et de Benjamin Constant, ce qui lui vaut d’être poursuivi. Avec Paulin, il se retrouve ainsi compromis dans la « conspiration de Belfort », dans laquelle les poursuites diligentées contre lui finiront par être annulées, en dépit de la sévérité du juge instruisant le dossier, le plus souvent à charge.
Il fait la connaissance d’Adolphe Thiers et participe à la création du journal Le National, dans lequel son oncle Emmanuel-Vincent est aussi partie prenante, tout comme Jean-Baptiste Alexandre Paulin. Périodiquement, les deux hommes n’hésitent pas à critiquer le régime de Charles X. Au début des années 1830, il s’associe avec ce dernier dans le rachat de la librairie Sautelet, installée au 33 rue de Seine. Ils publient notamment La comédie Humaine d’Honoré de Balzac ou le Gil Blas de Lesage en 1835. Pour s’assurer un public plus large, la publication ornée de plus de 600 illustrations, est vendue en 24 fascicules à relier. On estime que plus de 15.000 exemplaires seront écoulés. Autre réussite de Dubochet, la publication en 1836 de la traduction du Don Quichotte de Cervantès, établie par Louis Viardot. Là encore, l’ouvrage est novateur par la profusion de gravures qu’il renferme (plus de 900 pour deux volumes totalisant 1.500 pages) et la vente se fera aussi par livraisons, permettant de mieux répartir dans le temps les charges et les risques financiers. En même temps, il fait connaître et publie des œuvres du dessinateur suisse Rodolphe Töpffer, qui est également son cousin et que l’on retrouvera en 1845 dans les colonnes de L’Illustration. L’Histoire de monsieur Cryptogame sera la toute première bande dessinée publiée dans un journal.
En 1843, Dubochet rejoint Paulin, ainsi que Edouard Charton et Adolphe-Laurent Joanne, pour fonder L’Illustration. Il s’agit pour eux d’élaborer une publication qui sera à la fois « populaire », de qualité et que l’on aura plaisir à lire, avec le recours à la gravure. Pendant les premiers mois, Dubochet épaule Edouard Charton qui doit assumer à la fois la rédaction en chef de la jeune Illustration et celle du Magasin pittoresque, avant de passer le flambeau à Paulin, en 1844. Avec ce dernier, c’est lui qui assume l’essentiel du risque financier de l’entreprise, en investissant à eux deux près de 375.000 francs de l’époque. Découragé par la tournure que prennent les événements de 1848, il s’écarte progressivement de la presse. En 1849, son oncle, Emmanuel-Vincent Dubochet, propriétaire du château des Crêtes à Clarens, près de Montreux, fait appel à lui en tant que secrétaire général de la Compagnie parisienne du gaz qu’il dirige. C’est lui qui contribuera à vulgariser l’invention de l’ingénieur Lebon. En 1860, Jacques-Julien Dubochet devient membre de la Société de géographie. Il a également laissé l’image d’un philanthrope. Il a ainsi contribué à la création de la Société helvétique de bienfaisance et de divers organismes, comme la Société de secours mutuel pour les Suisses résidant à Paris.
Il est décédé le 4 septembre 1868, à Munich.
Il fait la connaissance d’Adolphe Thiers et participe à la création du journal Le National, dans lequel son oncle Emmanuel-Vincent est aussi partie prenante, tout comme Jean-Baptiste Alexandre Paulin. Périodiquement, les deux hommes n’hésitent pas à critiquer le régime de Charles X. Au début des années 1830, il s’associe avec ce dernier dans le rachat de la librairie Sautelet, installée au 33 rue de Seine. Ils publient notamment La comédie Humaine d’Honoré de Balzac ou le Gil Blas de Lesage en 1835. Pour s’assurer un public plus large, la publication ornée de plus de 600 illustrations, est vendue en 24 fascicules à relier. On estime que plus de 15.000 exemplaires seront écoulés. Autre réussite de Dubochet, la publication en 1836 de la traduction du Don Quichotte de Cervantès, établie par Louis Viardot. Là encore, l’ouvrage est novateur par la profusion de gravures qu’il renferme (plus de 900 pour deux volumes totalisant 1.500 pages) et la vente se fera aussi par livraisons, permettant de mieux répartir dans le temps les charges et les risques financiers. En même temps, il fait connaître et publie des œuvres du dessinateur suisse Rodolphe Töpffer, qui est également son cousin et que l’on retrouvera en 1845 dans les colonnes de L’Illustration. L’Histoire de monsieur Cryptogame sera la toute première bande dessinée publiée dans un journal.
En 1843, Dubochet rejoint Paulin, ainsi que Edouard Charton et Adolphe-Laurent Joanne, pour fonder L’Illustration. Il s’agit pour eux d’élaborer une publication qui sera à la fois « populaire », de qualité et que l’on aura plaisir à lire, avec le recours à la gravure. Pendant les premiers mois, Dubochet épaule Edouard Charton qui doit assumer à la fois la rédaction en chef de la jeune Illustration et celle du Magasin pittoresque, avant de passer le flambeau à Paulin, en 1844. Avec ce dernier, c’est lui qui assume l’essentiel du risque financier de l’entreprise, en investissant à eux deux près de 375.000 francs de l’époque. Découragé par la tournure que prennent les événements de 1848, il s’écarte progressivement de la presse. En 1849, son oncle, Emmanuel-Vincent Dubochet, propriétaire du château des Crêtes à Clarens, près de Montreux, fait appel à lui en tant que secrétaire général de la Compagnie parisienne du gaz qu’il dirige. C’est lui qui contribuera à vulgariser l’invention de l’ingénieur Lebon. En 1860, Jacques-Julien Dubochet devient membre de la Société de géographie. Il a également laissé l’image d’un philanthrope. Il a ainsi contribué à la création de la Société helvétique de bienfaisance et de divers organismes, comme la Société de secours mutuel pour les Suisses résidant à Paris.
Il est décédé le 4 septembre 1868, à Munich.
EDOUARD CHARTON (1807-1890)
Edouard Charton est né à Sens, le 11 mai 1807. Avocat de formation, il s’est inscrit au Barreau de Paris en 1827, sans toutefois exercer effectivement cette profession. Comme Adolphe-Laurent Joanne, il se sent davantage attiré par le journalisme. Avec Hippolyte Carnot et Jules Reynard, il se révèle un adepte du saint-simonisme qu’il rejoint dès 1829.Cette même année, il devient rédacteur en chef du Bulletin de la société pour l’instruction élémentaire. Après être passé par le journal Le Globe, transformé en 1830 en Journal de la doctrine de Saint-Simon, il parcourt la Vendée et la Bretagne, afin de diffuser les idées saint-simoniennes. En 1831, à la suite d’un désaccord avec Enfantin et du « schisme » qui en résulte, avec le départ des saint-simoniens républicains, il rompt, tout comme Carnot et Reynard. En 1833, il confirme son ancrage dans la presse, avec le Magasin pittoresque que vient de fonder l’imprimeur Lachevardière, en suivant le modèle anglais du Penny magazine. Il s’agit « d’instruire en amusant ». Pendant un demi-siècle, il en sera le directeur, réussissant à attirer autour de lui aussi bien des saint-simoniens convaincus que des écrivains de talent, comme George Sand ou des vulgarisateurs de génie, comme Camille Flammarion. L’image ne pouvant être qu’indispensable à la compréhension et à la propagation des connaissances, il s’associe tout naturellement à Paulin, Joanne et Dubochet pour lancer L’Illustration en 1843 : « Il fut (…) un des ouvriers de la première heure. Issue d’un programme plus général, se pliant davantage aux préoccupations du moment, notre feuille complétait en quelque sorte l’œuvre du Magasin pittoresque », lit-on dans sa nécrologie publiée par L’Illustration, le 8 mars 1890. Lui aussi, comme Dubochet, s’en éloignera toutefois assez rapidement. Auparavant, il aura revendu, dès la fin de 1844, les deux actions qu’il possédait de L’Illustration. Le tout pour la coquette somme de 60.000 francs, alors qu’il les avait acquises, un an plus tôt pour 5.000 francs.
A la suite de la Révolution de février 1848, Carnot étant devenu ministre de l’instruction publique l’appelle au poste de secrétaire général de son ministère. Elu député de l’Yonne à l’Assemblée constituante, il aura assez de courage pour signer, avec 17 de ses collègues parlementaires, une protestation contre le coup d’état du 2 décembre. Retiré de la vie politique nationale pendant tout le Second empire, il n’a pas entièrement renoncé à l’action politique, au moins au plan local. C’est ainsi qu’en 1857 et en 1863 il est infructueusement candidat de l’opposition démocratique dans la ville de Sens. Il occupe sa « retraite » à la rédaction des quatre volumes de L’Histoire des voyageurs anciens (1854) et d’une Histoire la de France illustrée, rédigée avec Henri Bordier. Le Bulletin de l’Ecole des chartes louera l’ouvrage pour la qualité des illustrations et le choix qui en a été fait. Epris de voyage, il lance en 1860 la revue Le Tour du monde, sous le patronage de la librairie Hachette. En 1864, ce sera la Bibliothèque des merveilles, une collection à but vulgarisateur pour laquelle il arrive à capter quelques-uns des meilleurs spécialistes de l’époque. L’Institut de France fait de lui un membre correspondant en 1867.
L’empire s’étant effondré, après le 4 septembre 1870, Edouard Charton fait un retour en politique. Dès le 6 septembre 1870, le gouvernement de défense nationale le promeut préfet de Seine-et-Oise. En février 1871, c’est comme élu de l’Yonne qu’il peut participer à l’Assemblé nationale, après avoir été élu le 8 janvier. Il y siège dans les rangs de la gauche républicaine qu’il préside. De 1878 jusqu’à sa mort, en 1890, il représentera sans discontinuer le département de l’Yonne au Sénat. Dans la plupart de ses interventions, on voit souvent poindre quelques points fort, comme la nécessaire promotion du peuple par l’éducation et l’instruction. Il est aussi un des grands défenseurs de l’enseignement artistique. Edouard Charton a aussi pris part à la création du musée d’ethnographie du Trocadéro, d’où sortira beaucoup plus tard le Musée de l’homme. Un tel parcours ne pouvait pas laisser indifférente l’Académie des sciences morales et politiques qui en a fait un des siens, en lui confiant le siège vacant d’Auguste Casimir-Perier, en 1876. Il est mort à Versailles, le 27 février 1890.
A la suite de la Révolution de février 1848, Carnot étant devenu ministre de l’instruction publique l’appelle au poste de secrétaire général de son ministère. Elu député de l’Yonne à l’Assemblée constituante, il aura assez de courage pour signer, avec 17 de ses collègues parlementaires, une protestation contre le coup d’état du 2 décembre. Retiré de la vie politique nationale pendant tout le Second empire, il n’a pas entièrement renoncé à l’action politique, au moins au plan local. C’est ainsi qu’en 1857 et en 1863 il est infructueusement candidat de l’opposition démocratique dans la ville de Sens. Il occupe sa « retraite » à la rédaction des quatre volumes de L’Histoire des voyageurs anciens (1854) et d’une Histoire la de France illustrée, rédigée avec Henri Bordier. Le Bulletin de l’Ecole des chartes louera l’ouvrage pour la qualité des illustrations et le choix qui en a été fait. Epris de voyage, il lance en 1860 la revue Le Tour du monde, sous le patronage de la librairie Hachette. En 1864, ce sera la Bibliothèque des merveilles, une collection à but vulgarisateur pour laquelle il arrive à capter quelques-uns des meilleurs spécialistes de l’époque. L’Institut de France fait de lui un membre correspondant en 1867.
L’empire s’étant effondré, après le 4 septembre 1870, Edouard Charton fait un retour en politique. Dès le 6 septembre 1870, le gouvernement de défense nationale le promeut préfet de Seine-et-Oise. En février 1871, c’est comme élu de l’Yonne qu’il peut participer à l’Assemblé nationale, après avoir été élu le 8 janvier. Il y siège dans les rangs de la gauche républicaine qu’il préside. De 1878 jusqu’à sa mort, en 1890, il représentera sans discontinuer le département de l’Yonne au Sénat. Dans la plupart de ses interventions, on voit souvent poindre quelques points fort, comme la nécessaire promotion du peuple par l’éducation et l’instruction. Il est aussi un des grands défenseurs de l’enseignement artistique. Edouard Charton a aussi pris part à la création du musée d’ethnographie du Trocadéro, d’où sortira beaucoup plus tard le Musée de l’homme. Un tel parcours ne pouvait pas laisser indifférente l’Académie des sciences morales et politiques qui en a fait un des siens, en lui confiant le siège vacant d’Auguste Casimir-Perier, en 1876. Il est mort à Versailles, le 27 février 1890.
ADOLPHE LAURENT JOANNE (1813-1881)
Adolphe-Laurent Joanne est né à Dijon le 13 septembre 1813. Avec sa famille, il s’installe à Paris en 1817 et fait ses études au collège Charlemagne, avant de se lancer dans le droit. En 1836, il est reçu avocat et, pendant trois ans, il va effectivement plaider. L’attrait de l’écriture aura raison de sa carrière d’avocat. Dès 1833, il a commencé par fournir au Journal général de l’instruction publique divers comptes rendus, comme ceux des cours du Collège de France ou des séances de l’Académie des sciences. On retrouve ses écrits dans le Journal des tribunaux en 1837, dans Le Droit en 1838 et, enfin, dans Le National. A peine âgé de 27 ans, il commence la publication de ses Itinéraires, une série de notes personnelles, peu avant d’entreprendre la série des Géographies départementales qui le feront passer à la postérité.
Entre 1838 et 1850, sa bonne connaissance de la littérature anglaises et des moeurs d’outre-Manche font de lui un des rédacteurs de la Revue Britannique. Entre temps, il a épaulé Charton, Dubochet et Paulin dans la création de L’Illustration où il restera jusqu’en 1852. Par la suite il se consacrera à la rédaction de ses guides. Bâtis sur un plan identique, ils permettent la visite de différents pays et villes, avec nombre de renseignements pratiques que le voyageur ne pouvait, auparavant, trouver nulle part réunis. On considère que c’est le succès de L'itinéraire descriptif et historique de la Suisse, du Jura, de Baden-Baden et de la Forêt Noire (1841) qui poussa Joanne vers la publication de ses fameux guides. On lui doit aussi un monumental Dictionnaire des communes de France. A sa mort, survenue le 1er mars 1881 à Paris, Joanne avait déjà publié plus d’une centaine de volumes dans la collection des Guides Diamant qui allaient bientôt devenir celle des Guides bleus Hachette.
Entre 1838 et 1850, sa bonne connaissance de la littérature anglaises et des moeurs d’outre-Manche font de lui un des rédacteurs de la Revue Britannique. Entre temps, il a épaulé Charton, Dubochet et Paulin dans la création de L’Illustration où il restera jusqu’en 1852. Par la suite il se consacrera à la rédaction de ses guides. Bâtis sur un plan identique, ils permettent la visite de différents pays et villes, avec nombre de renseignements pratiques que le voyageur ne pouvait, auparavant, trouver nulle part réunis. On considère que c’est le succès de L'itinéraire descriptif et historique de la Suisse, du Jura, de Baden-Baden et de la Forêt Noire (1841) qui poussa Joanne vers la publication de ses fameux guides. On lui doit aussi un monumental Dictionnaire des communes de France. A sa mort, survenue le 1er mars 1881 à Paris, Joanne avait déjà publié plus d’une centaine de volumes dans la collection des Guides Diamant qui allaient bientôt devenir celle des Guides bleus Hachette.
VICTOR PAULIN (18 ?? -18 ??) Directeur de 1859 à 1860.
Avec Victor-Alfred Depaëpe, Victor Paulin est l’un des deux directeurs de L’Illustration à avoir effectué le plus court « mandat ». Lorsque le père fondateur, Jean-Baptiste Alexandre Paulin, disparaît, le 2 novembre 1859, c’est tout naturellement son fils Victor qui est désigné pour lui succéder. Il a à son actif la réalisation d’un album spécial de L’Illustration, consacré aux guerres d’Italie (1859). Mais celui-ci sans doute peu enclin à diriger un hebdomadaire illustré, à l’avenir encore incertain, préfère vendre l’essentiel de ses parts. L’acquéreur est un manufacturier hollandais, Alexandre Mendel. Ce dernier constitue alors une société avec Jean-Auguste Marc, un artiste peintre parisien. Il lui confie aussitôt le soin de la gérer. Sur les 340 actions qui forment le capital de la société, Victor Paulin n’en détient plus qu’une trentaine. Il se retire alors de la direction de L’Illustration, cédant son fauteuil à Auguste Marc qui va tenir les rênes de l’hebdomadaire, à compter du 1er mai 1860 et pendant un quart de siècle. En même temps, il abandonne aussi la rédaction en chef que son père lui avait confiée. C’est désormais Edmond Texier qui assumera cette fonction. Des quelques mois passés par Paulin fils à la tête de L’Illustration, on retiendra sa grande prudence vis-à-vis du pouvoir, allant jusqu’à demander en mars 1860 l’avis des services officiels pour la publication d’un dessin devant représenter la salle d’audience dans laquelle doit se dérouler le procès de Mgr Dupanloup.
AUGUSTE MARC (1818-1886) Directeur de 1860 à 1886
Auguste Marc est né à Metz, le 12 juillet 1818. Son grand-père était architecte, mais sa famille le destinait à l’école vétérinaire. Envoyé au Luxembourg pour y suivre des cours de médecine vétérinaire, il opte rapidement pour les arts et, à 19 ans, il enseigne le dessin au gymnase de Diekirch. De retour en France, il gagne Paris en 1840 et il est un des élèves de l’atelier de Paul Delaroche. C’est là qu’il croise Gérôme, Hébert ou Gustave Boulanger qui accompliront une partie de leur carrière à L’Illustration. En 1847, il expose pour la première fois au Salon et, l’année suivante, la toute jeune IIème République le retient, parmi une liste d’artistes, pour proposer une figure symbolique représentant la dite République. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Jean-Baptiste Alexandre Paulin : « Paulin, dira Henri Lacroix, un collaborateur de trente ans de L’Illustration, lors des obsèques d’Auguste Marc, estimait particulièrement ce travailleur infatigable. Il faisait le plus grand cas de son talent de dessinateur (et) il l’avait pris en affection ». Ses premiers dessins apparaissent dans L’Illustration en 1850 et le 22 mars 1856, le journal publie de lui un Portrait de l’impératrice.
A la mort de Jean-Baptiste Alexandre Paulin en 1859 et après le rachat des parts que détenait son fils, Victor Paulin, par le Hollandais, Alexandre Mendel, ce dernier a choisi de s’associer avec Auguste Marc. Mendel dispose de la moitié des actions mais il préfère lui confier la direction de L’Illustration. Il est l’homme de la situation, bien qu’il ne soit qu’un des actionnaires très minoritaires. Auguste Marc abandonne définitivement une carrière d’artiste qui aurait pu être brillante. Au bord de sa tombe, en 1886, Henri Lacroix dira qu’il « se donne alors tout entier…L’Illustration devient pour ainsi dire son maître. Bien des difficultés étaient à vaincre au début mais Auguste Marc imposa la prospérité au journal par sa patience, son esprit droit et sage, par son intelligence prudente et sûre, par sa loyauté enfin ». Une des premières décisions d’Auguste Marc est de modifier la typographie. Le texte se retrouve aéré, donnant aux pages un aspect moins massif dont certains lecteurs se plaignaient, et mettant davantage en valeur l’image. Pour le seconder, à la rédaction en chef, il fait appel à Edmond Texier qui excelle dans l’art de la prudence, préférant la neutralité du ton, face à un pouvoir impérial qui reste sourcilleux. Il y aura cependant quelques avertissements émanant du ministère de l’Intérieur, en particulier lorsque L’Illustration se fend d’un article jugé bien trop favorable au comte de Chambord, prétendant officiel au trône. A partir de 1865, lorsque Auguste Marc reprend à son compte le billet que tenait Edmond Texier, la tonalité change : à plusieurs reprises, il ne cache pas ses sympathies républicaines.
Autre préoccupation d’Auguste Marc, la concurrence du Monde illustré fondé en 1857. S’il possède la même présentation et le même format que L’Illustration (ce qui sera quasiment toujours le cas jusqu’à son absorption par France Illustration, 90 ans plus tard), il a l’oreille du pouvoir qui ne le classe pas parmi les journaux politiques. D’où des avantages non négligeables en droit de timbre qu’il n’a pas à acquitter à l’inverse de L’Illustration. Plutôt que de fusionner avec un rival, Auguste Marc finit par obtenir le feu vert de son conseil pour le concurrencer : ce sera le lancement de l’Universel, un hebdomadaire, en attendant peut-être le projet d’un quotidien que semble caresser sérieusement Auguste Marc. Un autre concurrent se manifeste au milieu des années 1860 : Moyse Millaud, fondateur en 1863 du Petit Journal prétend prendre pied dans la presse illustrée avec le rachat du Journal Illustré.
Pour se démarquer de cette concurrence, la solution réside dans l’amélioration constante de la présentation, sans oublier la qualité du papier et de l’impression. Mais pour conserver le lectorat acquis et mordre sur de nouvelles franges, il faut passer par l’abandon de toute tonalité politique. Au sein du conseil de surveillance et même de la rédaction, on est cependant loin de partager son point de vue sur une Illustration « neutre » voire « atone ». Auguste Marc doit même faire face à un début de fronde qu’il finira par régler en supprimant en 1865 les fonctions de rédacteur en chef et d’adjoint au directeur, fonctions exercées respectivement par Texier et Le Chevalier. L’heure est aussi aux économies, pour répondre à une baisse conséquente du tirage. Afin de tailler dans les coûts, Auguste Marc accepte de céder l’imprimerie chroniquement déficitaire, faute d’une charge de travail suffisante, à l’imprimeur Martinet. Devenu propriétaire de tout le matériel d’impression, il se voit assuré par contrat de la clientèle de L’Illustration pour un durée de 9 ans, à compter de 1871.
L’Illustration abandonne donc provisoirement son autonomie en matière d’impression, qu’elle retrouvera quelques années plus tard, avec Lucien Marc et l’installation des ateliers d’impression et de brochage dans les sous-sols de la rue Saint-Georges. Pour gagner de nouveaux abonnés Auguste Marc lance en prime un supplément intitulé L’Illustration de la mode. La publicité, quoique limitée à quelques courts encarts, se révèle cependant d’un bon rendement. La qualité de la présentation du magazine lui permet de facturer ses annonces deux fois plus chères que des quotidiens aux tirages souvent bien supérieurs.
L’actualité est aussi pourvoyeuse de nouveaux abonnés. Dans les premiers mois de 1870, alors que les relations se tendent de plus en plus avec la Prusse, L’Illustration gagne plusieurs centaines de nouveaux abonnés. La guerre tournant au désastre, avec le siège de Paris, se pose alors pour L’Illustration la question de son maintien à Paris ou de son transfert vers la province. A la différence de ce qui se passera partiellement en septembre 1914 et totalement en juin 1940, c’est la première solution que choisit Auguste Marc, tout en sachant qu’il ne pourra guère approvisionner que ses abonnés parisiens, les liaisons avec la province étant coupées. Le tirage sera donc strictement adapté, afin de faire durer les stocks de papier. De 24 pages, L’Illustration tombe à 8 pages et des économies drastiques sont réalisées, avec des réductions brutales qui amputent d’un tiers les salaires des journalistes, des dessinateurs ou des graveurs.
En parallèle, Auguste Marc qui a flairé le besoin d’information d’une partie de la population parisienne qui ne lit pas L’Illustration, réputée trop chère, lance La Guerre Illustrée. Au rythme d’un bihebdomadaire, elle traite de l’actualité et réutilise pour cela les documents iconographiques de l’Illustration. Le succès est au rendez-vous avec des tirages qui atteindront parfois jusqu’à plus de 50.000 exemplaires. La fin du siège de Paris arrive à point nommé pour l’hebdomadaire au bord de l’asphyxie financière et le rétablissement du courrier avec la province va permettre de servir des abonnés avides de nouvelles et auxquels sont expédié des réimpressions de numéros parus pendant le siège. Auguste Marc voit même affluer plusieurs milliers de nouveaux abonnés. La guerre de 1870 est aussi un des moments les plus durs pour lui : il perd un de ses deux fils. Selon ses proches collaborateurs, ce fut « un coup dont il ne se releva jamais entièrement…Une maladie qui ne pardonne pas le mina dès lors sournoisement, jusqu’au jour fatal où elle devait le terrasser »… Face à la Commune de Paris, L’Illustration adopte évidemment un ton particulièrement hostile et se plaît à stigmatiser ses excès tout en approuvant la reconquête par les Versaillais. D’ailleurs, Auguste Marc entend bien que l’on se souvienne de tout cela : il lance la publication en quinze livraisons d’une Histoire de la Commune de 1871. Elle est offerte aux abonnés annuels. Ses 240 pages reliées et ornées de plus de 150 gravures donnent un récit forcément partial des événements mais qui ne peut que plaire à la clientèle des lecteurs de L’Illustration, éprise d’ordre.
L’alerte de la Commune passée et l’ancrage de la république se confirmant, Auguste Marc peut se recentrer sur les améliorations à apporter à l’hebdomadaire. D’abord, il recrute une nouvelle génération de dessinateurs : les Bertall et autre Pharamond Blanchard qui ont accompagné L’Illustration depuis sa naissance, voient leurs crayons se briser définitivement. Parmi les nouveaux venus, figurent Albert Robida et Draner, anagramme d’un certain Jules Renard. Sa douzaine de dessins constituant la revue comique mensuelle ne disparaîtra qu’en 1890, lorsque Lucien Marc embauchera Henri Maigrot, le célèbre Henriot, pour lui succéder. Les procédés de gravure ont eux aussi connu des améliorations. Avec la photographie que l’on devient capable de graver sur du bois pelliculé, on peut se passer du dessinateur qui faisait le lien entre le peintre et le graveur. Ces graveurs, Auguste Marc les recrute parmi les meilleurs. Parmi eux, on trouve Stéphane Pannemaker qui restera à L’Illustration de 1874 à 1887. De lui, on dira que « ses reproductions d’une belle maîtrise pouvaient être considérées comme des types parfaits du genre ». Véritables virtuoses, ils peuvent être bien mieux payés que les journalistes ou les écrivains qui honorent les colonnes de L’Illustration de leurs signatures. La qualité des reproductions est telle que L’Illustration devient fournisseur de ses gravures pour d’autres publications françaises, comme Le Petit Journal en 1869, ou étrangères, comme le London Illustrated News. De quoi générer de nouvelles recettes, à côté des abonnements, des ventes au numéro et des annonces ou réclames.
Auguste Marc est aussi à l’origine des premières impressions en couleur. Un "supplément de circonstance" est inséré dans le numéro du 23 décembre 1880 . Il préfigure le numéro de Noël, qui prendra son envol en 1886, deux ans après le numéro du Salon de peinture en 1884 qui a remplacé les traditionnelles gravures par des photos. Le procédé laisse encore à désirer et l’expérience ne sera retentée que trois ans plus tard. Pour suivre les progrès de l’impression, Auguste Marc modernise les ateliers de gravure. Enfin, en 1882, le format initial a été légèrement agrandi. Ces améliorations, L’Illustration y consacre chaque année un part des bénéfices, au risque d’émouvoir les actionnaires dont les dividendes ne sont pas à la hauteur des progrès de la publicité ou des abonnements. Auguste Marc profite aussi de cette éclaircie dans les finances du magazine pour conforter sa présence et celle de son fils, Lucien Marc, au sein du capital. A la fin des années 1870, afin de donner à L’Illustration un cadre davantage en rapport avec son importance, on songe à délaisser le 60 de la rue de Richelieu où elle a élu domicile depuis 1844. En 1881, l’année du vote de la loi sur la liberté de la presse, le choix se porte sur un hôtel particulier, édifié par Bellanger en1787 pour Mademoiselle Dervieux, danseuse à l’Opéra. Il est au 13 de la rue Saint-Georges et il va constituer le centre névralgique de L’Illustration pendant près de 70 ans, tout en s’étendant bien au delà. Dans le prolongement du déménagement, des plans sont échafaudés pour installer une imprimerie dans les sous-sols de l’hôtel et reprendre ainsi le contrôle de l’impression.
Lorsque Auguste Marc meurt, le 19 mai 1886 à Suresnes, les bases de L’Illustration moderne sont fondées, mais l’édifice est encore fragile financièrement compte tenu des investissements qui ont été réalisés. Dans l’hommage que lui rend son journal, le 29 mai (n°2257), avec son portrait en pleine page de couverture, on peut lire : « En face de cette tombe encore ouverte, nous craindrions de manquer aux préceptes de notre regretté Maître, simple et modeste entre tous si nous mettions en regard les chiffre du tirage de 1860 et ceux de 1886 ». Des propos qui semblent justifiés lorsque l’on sait que la diffusion de L’Illustration est passée de 17.000 exemplaires en 1860 à 22.000 en 1886, avec des pointes à 30.000 en 1882. C’est Lucien Marc, collaborateur de son père depuis plus de vingt ans, qui va prendre le relais, avant dernier maillon d’une chaîne de directeurs qui conduira à la famille Baschet en 1904.
A la mort de Jean-Baptiste Alexandre Paulin en 1859 et après le rachat des parts que détenait son fils, Victor Paulin, par le Hollandais, Alexandre Mendel, ce dernier a choisi de s’associer avec Auguste Marc. Mendel dispose de la moitié des actions mais il préfère lui confier la direction de L’Illustration. Il est l’homme de la situation, bien qu’il ne soit qu’un des actionnaires très minoritaires. Auguste Marc abandonne définitivement une carrière d’artiste qui aurait pu être brillante. Au bord de sa tombe, en 1886, Henri Lacroix dira qu’il « se donne alors tout entier…L’Illustration devient pour ainsi dire son maître. Bien des difficultés étaient à vaincre au début mais Auguste Marc imposa la prospérité au journal par sa patience, son esprit droit et sage, par son intelligence prudente et sûre, par sa loyauté enfin ». Une des premières décisions d’Auguste Marc est de modifier la typographie. Le texte se retrouve aéré, donnant aux pages un aspect moins massif dont certains lecteurs se plaignaient, et mettant davantage en valeur l’image. Pour le seconder, à la rédaction en chef, il fait appel à Edmond Texier qui excelle dans l’art de la prudence, préférant la neutralité du ton, face à un pouvoir impérial qui reste sourcilleux. Il y aura cependant quelques avertissements émanant du ministère de l’Intérieur, en particulier lorsque L’Illustration se fend d’un article jugé bien trop favorable au comte de Chambord, prétendant officiel au trône. A partir de 1865, lorsque Auguste Marc reprend à son compte le billet que tenait Edmond Texier, la tonalité change : à plusieurs reprises, il ne cache pas ses sympathies républicaines.
Autre préoccupation d’Auguste Marc, la concurrence du Monde illustré fondé en 1857. S’il possède la même présentation et le même format que L’Illustration (ce qui sera quasiment toujours le cas jusqu’à son absorption par France Illustration, 90 ans plus tard), il a l’oreille du pouvoir qui ne le classe pas parmi les journaux politiques. D’où des avantages non négligeables en droit de timbre qu’il n’a pas à acquitter à l’inverse de L’Illustration. Plutôt que de fusionner avec un rival, Auguste Marc finit par obtenir le feu vert de son conseil pour le concurrencer : ce sera le lancement de l’Universel, un hebdomadaire, en attendant peut-être le projet d’un quotidien que semble caresser sérieusement Auguste Marc. Un autre concurrent se manifeste au milieu des années 1860 : Moyse Millaud, fondateur en 1863 du Petit Journal prétend prendre pied dans la presse illustrée avec le rachat du Journal Illustré.
Pour se démarquer de cette concurrence, la solution réside dans l’amélioration constante de la présentation, sans oublier la qualité du papier et de l’impression. Mais pour conserver le lectorat acquis et mordre sur de nouvelles franges, il faut passer par l’abandon de toute tonalité politique. Au sein du conseil de surveillance et même de la rédaction, on est cependant loin de partager son point de vue sur une Illustration « neutre » voire « atone ». Auguste Marc doit même faire face à un début de fronde qu’il finira par régler en supprimant en 1865 les fonctions de rédacteur en chef et d’adjoint au directeur, fonctions exercées respectivement par Texier et Le Chevalier. L’heure est aussi aux économies, pour répondre à une baisse conséquente du tirage. Afin de tailler dans les coûts, Auguste Marc accepte de céder l’imprimerie chroniquement déficitaire, faute d’une charge de travail suffisante, à l’imprimeur Martinet. Devenu propriétaire de tout le matériel d’impression, il se voit assuré par contrat de la clientèle de L’Illustration pour un durée de 9 ans, à compter de 1871.
L’Illustration abandonne donc provisoirement son autonomie en matière d’impression, qu’elle retrouvera quelques années plus tard, avec Lucien Marc et l’installation des ateliers d’impression et de brochage dans les sous-sols de la rue Saint-Georges. Pour gagner de nouveaux abonnés Auguste Marc lance en prime un supplément intitulé L’Illustration de la mode. La publicité, quoique limitée à quelques courts encarts, se révèle cependant d’un bon rendement. La qualité de la présentation du magazine lui permet de facturer ses annonces deux fois plus chères que des quotidiens aux tirages souvent bien supérieurs.
L’actualité est aussi pourvoyeuse de nouveaux abonnés. Dans les premiers mois de 1870, alors que les relations se tendent de plus en plus avec la Prusse, L’Illustration gagne plusieurs centaines de nouveaux abonnés. La guerre tournant au désastre, avec le siège de Paris, se pose alors pour L’Illustration la question de son maintien à Paris ou de son transfert vers la province. A la différence de ce qui se passera partiellement en septembre 1914 et totalement en juin 1940, c’est la première solution que choisit Auguste Marc, tout en sachant qu’il ne pourra guère approvisionner que ses abonnés parisiens, les liaisons avec la province étant coupées. Le tirage sera donc strictement adapté, afin de faire durer les stocks de papier. De 24 pages, L’Illustration tombe à 8 pages et des économies drastiques sont réalisées, avec des réductions brutales qui amputent d’un tiers les salaires des journalistes, des dessinateurs ou des graveurs.
En parallèle, Auguste Marc qui a flairé le besoin d’information d’une partie de la population parisienne qui ne lit pas L’Illustration, réputée trop chère, lance La Guerre Illustrée. Au rythme d’un bihebdomadaire, elle traite de l’actualité et réutilise pour cela les documents iconographiques de l’Illustration. Le succès est au rendez-vous avec des tirages qui atteindront parfois jusqu’à plus de 50.000 exemplaires. La fin du siège de Paris arrive à point nommé pour l’hebdomadaire au bord de l’asphyxie financière et le rétablissement du courrier avec la province va permettre de servir des abonnés avides de nouvelles et auxquels sont expédié des réimpressions de numéros parus pendant le siège. Auguste Marc voit même affluer plusieurs milliers de nouveaux abonnés. La guerre de 1870 est aussi un des moments les plus durs pour lui : il perd un de ses deux fils. Selon ses proches collaborateurs, ce fut « un coup dont il ne se releva jamais entièrement…Une maladie qui ne pardonne pas le mina dès lors sournoisement, jusqu’au jour fatal où elle devait le terrasser »… Face à la Commune de Paris, L’Illustration adopte évidemment un ton particulièrement hostile et se plaît à stigmatiser ses excès tout en approuvant la reconquête par les Versaillais. D’ailleurs, Auguste Marc entend bien que l’on se souvienne de tout cela : il lance la publication en quinze livraisons d’une Histoire de la Commune de 1871. Elle est offerte aux abonnés annuels. Ses 240 pages reliées et ornées de plus de 150 gravures donnent un récit forcément partial des événements mais qui ne peut que plaire à la clientèle des lecteurs de L’Illustration, éprise d’ordre.
L’alerte de la Commune passée et l’ancrage de la république se confirmant, Auguste Marc peut se recentrer sur les améliorations à apporter à l’hebdomadaire. D’abord, il recrute une nouvelle génération de dessinateurs : les Bertall et autre Pharamond Blanchard qui ont accompagné L’Illustration depuis sa naissance, voient leurs crayons se briser définitivement. Parmi les nouveaux venus, figurent Albert Robida et Draner, anagramme d’un certain Jules Renard. Sa douzaine de dessins constituant la revue comique mensuelle ne disparaîtra qu’en 1890, lorsque Lucien Marc embauchera Henri Maigrot, le célèbre Henriot, pour lui succéder. Les procédés de gravure ont eux aussi connu des améliorations. Avec la photographie que l’on devient capable de graver sur du bois pelliculé, on peut se passer du dessinateur qui faisait le lien entre le peintre et le graveur. Ces graveurs, Auguste Marc les recrute parmi les meilleurs. Parmi eux, on trouve Stéphane Pannemaker qui restera à L’Illustration de 1874 à 1887. De lui, on dira que « ses reproductions d’une belle maîtrise pouvaient être considérées comme des types parfaits du genre ». Véritables virtuoses, ils peuvent être bien mieux payés que les journalistes ou les écrivains qui honorent les colonnes de L’Illustration de leurs signatures. La qualité des reproductions est telle que L’Illustration devient fournisseur de ses gravures pour d’autres publications françaises, comme Le Petit Journal en 1869, ou étrangères, comme le London Illustrated News. De quoi générer de nouvelles recettes, à côté des abonnements, des ventes au numéro et des annonces ou réclames.
Auguste Marc est aussi à l’origine des premières impressions en couleur. Un "supplément de circonstance" est inséré dans le numéro du 23 décembre 1880 . Il préfigure le numéro de Noël, qui prendra son envol en 1886, deux ans après le numéro du Salon de peinture en 1884 qui a remplacé les traditionnelles gravures par des photos. Le procédé laisse encore à désirer et l’expérience ne sera retentée que trois ans plus tard. Pour suivre les progrès de l’impression, Auguste Marc modernise les ateliers de gravure. Enfin, en 1882, le format initial a été légèrement agrandi. Ces améliorations, L’Illustration y consacre chaque année un part des bénéfices, au risque d’émouvoir les actionnaires dont les dividendes ne sont pas à la hauteur des progrès de la publicité ou des abonnements. Auguste Marc profite aussi de cette éclaircie dans les finances du magazine pour conforter sa présence et celle de son fils, Lucien Marc, au sein du capital. A la fin des années 1870, afin de donner à L’Illustration un cadre davantage en rapport avec son importance, on songe à délaisser le 60 de la rue de Richelieu où elle a élu domicile depuis 1844. En 1881, l’année du vote de la loi sur la liberté de la presse, le choix se porte sur un hôtel particulier, édifié par Bellanger en1787 pour Mademoiselle Dervieux, danseuse à l’Opéra. Il est au 13 de la rue Saint-Georges et il va constituer le centre névralgique de L’Illustration pendant près de 70 ans, tout en s’étendant bien au delà. Dans le prolongement du déménagement, des plans sont échafaudés pour installer une imprimerie dans les sous-sols de l’hôtel et reprendre ainsi le contrôle de l’impression.
Lorsque Auguste Marc meurt, le 19 mai 1886 à Suresnes, les bases de L’Illustration moderne sont fondées, mais l’édifice est encore fragile financièrement compte tenu des investissements qui ont été réalisés. Dans l’hommage que lui rend son journal, le 29 mai (n°2257), avec son portrait en pleine page de couverture, on peut lire : « En face de cette tombe encore ouverte, nous craindrions de manquer aux préceptes de notre regretté Maître, simple et modeste entre tous si nous mettions en regard les chiffre du tirage de 1860 et ceux de 1886 ». Des propos qui semblent justifiés lorsque l’on sait que la diffusion de L’Illustration est passée de 17.000 exemplaires en 1860 à 22.000 en 1886, avec des pointes à 30.000 en 1882. C’est Lucien Marc, collaborateur de son père depuis plus de vingt ans, qui va prendre le relais, avant dernier maillon d’une chaîne de directeurs qui conduira à la famille Baschet en 1904.
LUCIEN MARC (1846 -1903) Directeur de 1886 à 1903
Second fils d’Auguste Marc, Lucien Marc est né en 1846, 3 ans après la fondation de L’Illustration. A l’issue de ses études secondaires au Lycée Bonaparte (futur lycée Condorcet), il se retrouve bachelier de Lettres à 17 ans. Il semble se destiner au Droit en s’inscrivant à la faculté, ce qui ne l’empêche pas de collaborer au journal La Liberté que dirige Emile de Girardin, le véritable fondateur de la presse moderne. On le retrouve ensuite en Amérique. C’est là qu’il assiste à la pose du câble transatlantique, dont il donnera quelques échos au Journal officiel. En 1866, Auguste Marc le fait entrer, à vingt ans, à L’Illustration. Dans le prolongement du supplément lancé en 1869 par ce dernier à destination des abonnés, il a l’idée de le reprendre pour en faire L’Illustration des modes, à laquelle il va donner une existence autonome dès le début des années 1870. Au rythme d’un numéro par mois, la revue qui passe pour l’une des plus belles et des moins chères de sa catégorie, séduit un lectorat bourgeois, épris de gravures de modes, de belles lingeries et toilettes, le tout agrémenté d’ouvrages de dames et de beaux chapeaux, avec une pointe de couleur.
On retrouve Lucien Marc à la fondation du Syndicat de la presse périodique, dans lequel il se révèle rapidement bon organisateur. Volontiers patriote, il s’engage en 1870, dans l’artillerie de la Garde nationale. D’abord simple garde, chargé de guetter sur les remparts parisiens, il poursuivra comme attaché à l’Etat major. La Commune de Paris l’inquiète, au point qu’il élira domicile à Suresnes, pour ne regagner la capitale qu’à la fin du soulèvement. Selon Jean-Noël Marchandiau, qui a pu avoir accès aux archives du 1er bureau de la 4ème brigade des recherches, on s’intéresse beaucoup à ses idées, en haut lieu : « Il possède la fortune et au point de vue politique, il professe des opinions bonapartistes, mais ne s’occupe ni de politique, ni de propagande. Il passe pour un homme d’ordre » (cité dans L’Illustration 1843-1944, vie et mort d’un journal, éd. Privat). Un homme bien sous tout rapport, ce qui lui vaudra, après une nouvelle enquête, encore favorable, de recevoir la Légion d’honneur en 1894, au titre du ministère du commerce.
Au sein de l’hebdomadaire, Lucien Marc entend jouer pleinement son rôle de directeur. Tout en rédigeant L’histoire de la semaine, qui donne une certaine orientation, il est le point de passage obligé pour la publication de tout article. Il passe pour méfiant vis-à-vis du personnel politique au point de ne pas faire mystère de ses inclinations antiparlementaires. Pour lui, le député n’est au mieux qu’un bavard incapable, incompétent en politique étrangère et à l’efficacité quasi nulle. On aura un aperçu de cette défiance avec la publication dans L’Illustration du 26 octobre 1901 d’une pleine page de dessins exécutés par des parlementaires soucieux de « tuer le temps », lors d’une séance. Le tout sur papier à en tête de la chambre des députés. Titre de la page : « Travaux parlementaires ». Camille Pelletan, Jean Jaurès ou encore Alexandre Millerand sont de la revue. Ces couplets récurrents contre les politiciens ne lui font toutefois pas franchir la ligne qui démarque L’Illustration de ses confrères tels que La libre parole de Drumont ou L’Intransigeant, des organes au ton plus polémique et nettement plus brutal, pour ne pas dire vulgaire. Selon Jean-Noël Marchandiau, Lucien Marc semble s’assagir quelque peu à la fin de la décennie 1890. Ses nouvelles cibles deviennent davantage les socialistes, en la personne de Jean Jaurès, qualifié de « Saint-Jean bouche d’or du socialisme », ou les premiers syndicats qui fomentent des grèves. Contre elles, Lucien Marc considère que seule la force doit se faire entendre. La grève des cochers de fiacre à Paris, en 1889, lui donnera l’occasion de dénoncer le mouvement, via des articles virulents et surtout par le fameux portrait du cocher publié à la une de L’Illustration, le 22 juin 1889.
Conservateur en politique, Lucien Marc l’est beaucoup moins en journalisme. Pour lui ,le journaliste doit être là où se joue l’événement, d’où son goût pour les reportages dans l’Hexagone et au delà, le tout agrémenté d’images. Dans son barda, à côté de ses traditionnels crayons, le reporter va devoir faire de la place pour des appareils photographiques. Grâce aux progrès techniques, on commence à savoir tirer profit de la photo et à la marier avec la technique de la gravure. Lucien Marc va embaucher Ernest Clair-Guyot qui passera un demi siècle de sa vie au service de L’Illustration, faisant la liaison entre la gravure sur bois et la reproduction photographique, qu’il contribuera à améliorer. Il en fera le récit dans le numéro spécial de juillet 1933 consacré à la nouvelle imprimerie de Bobigny.
Dans un monde qui se prépare à la Revanche, le directeur de L’Illustration ne peut qu’applaudir au rapprochement entre la France et la puissante Russie, initié par Alexandre III et formalisé avec Nicolas II. Il ne faudra pas moins de trois numéros de L’Illustration pour épuiser la visite du jeune souverain russe à Paris en 1896. On consacrera autant de numéros à l’escapade du président Emile Loubet en terre russe, quelques années plus tard. A l’inverse, vis-à-vis de la « Perfide Albion », Lucien Marc fait montre d’une plus grande méfiance, voire d’anglophobie. Ce qui ne l’empêchera pas, le moment venu, de glisser vers une relative anglomanie, dont les premiers effets se font sentir lors de la visite d’Edouard VII à Paris en mai 1903. Bref, l’Entente cordiale finira par triompher des préjugés de Lucien Marc. Face à l’Allemagne, le parcours de Lucien Marc et de L’Illustration, vont à l’inverse de celui de l’Angleterre. Nuancé, prudent vis-à-vis des incidents qui peuvent surgir entre la France et son voisin germanique, le directeur de L’Illustration changera d’attitude dès lors que Guillaume II aura réaffirmé sa ferme intention de maintenir coûte que coûte l’Alsace et la Lorraine dans le giron du Reich, tout en s’appuyant sur l’unité de son jeune empire pour maintenir « une autorité ferme » à l’égard de la France.
Au plan intérieur, assumer la direction de L’Illustration durant deux décennies agitées n’aura pas été un long fleuve tranquille, obligeant à naviguer entre les écueils des grandes crises politiques. Dans l’affaire du général Boulanger, face à laquelle L’Illustration veut garder la tête froide, Lucien Marc lâche cependant la bride à ses dessinateurs : Caran d’Ache, épaulé par Grosclaude pour les textes, peut s’en donner à cœur joie dans son Boulangeorama, publié le 16 février 1889. Avec la crise de Panama, il en appelle à la justice pour qu’elle remplisse son rôle et démasque dans le monde politique les « chéquards », destinataires des chèques des financiers de Panama. Là encore, c’est par les dessins de Caran d’Ache que viendront les excès. Son « Art de donner des chèques et les différentes manières de le recevoir », inséré en pleine page dans le numéro du 10 décembre 1892 reprend les poncifs de l’antisémitisme et de l’antiparlementarisme.
Ce sera ensuite l’affaire Dreyfus, le portrait du capitaine faisant même irruption à la une de L’Illustration, dès le 22 décembre 1894. Dreyfus apparaît comme forcément coupable et il n’en sera plus guère question jusqu’en 1897, lorsque la campagne de réhabilitation commence à pointer les faiblesses et les iniquités du dossier. A ce moment, Lucien Marc se montre davantage partagé, même s’il peut encore déplorer ce qui lui semble être des excès de langage chez Zola, avec son J’Accuse. En 1899, avec l’annulation par la cour de cassation du jugement de 1894, prélude au retour de Dreyfus en France, il éprouve sans doute un réel soulagement. Dès lors, L’Illustration consacrera de nombreuses pages au retour de l’ex- bagnard de l’Ile du diable et au jugement de Rennes. En 1906, au moment de la réhabilitation et de la réintégration de Dreyfus dans l’armée, L’Illustration y consacrera plusieurs pages. Lucien Marc n’est alors plus de ce monde depuis trois ans.
L’agitation politique et les louvoiement de L’Illustration et de son directeur ne doivent pas faire oublier que c’est sous la direction de Lucien Marc que le magazine amorce un véritable décollage, que ce soit en en terme de pagination, de volume publicitaire, de diffusion ou au plan technique. On doit au prédécesseur de René Baschet plusieurs changements de taille.
Le changement est d’abord extérieur, avec l’apparition d’une couverture de couleur en 1888. Sous le titre L’Illustration, Journal universel, elle reproduit les outils du graveur, enlacés par un ruban, et comporte les différentes informations pratiques (date, prix du numéro, adresse et montant des abonnements). Sauf pour quelques rares événements ou bientôt pour les numéros de Noël ou du Salon de peinture, elle va immuablement marquer la cadence hebdomadaire jusqu’en décembre 1929, date à laquelle elle disparaîtra pour faire (enfin) place à une couverture illustrée. Seuls sa couleur et le grammage de son papier varieront en un demi-siècle. Cette innovation va générer une dépense supplémentaire de 26.000 francs qui devrait être largement compensée par les annonces publicitaires qui pourront s’y nicher. En même temps, la pagination annuelle s’accroît quelque peu et, si les 832 pages annuelles restent la règle, avec 16 pages par livraison, leur nombre peut grimper épisodiquement. L’image reste un élément central, mais la volonté de Lucien Marc est de les multiplier, sans augmenter la part qui leur est consacrée. Ce sera donc moins de grandes compositions pleine page ou doubles pages, et davantage d’images, entre gravures et photos, fussent-elles plus petites.
Dans le même temps, b[ L’Illustration s’ouvre plus largement aux annonces publicitaires]b. Entre la 2è, la 3è et la 4è de couverture, elles parviennent à s’insinuer et peuvent déborder sur les pages intérieures. C’est Lucien Marc qui fait adopter la répartition des pages de publicités qui restera la marque de L’Illustration pendant trois quarts de siècles : des pages de publicité avant et après les pages d’information, mais jamais entre. L’avantage est aussi qu’elles peuvent être retirées au moment de la reliure des fascicules. Elles sont dotées d’une numérotation en chiffres romains qui les distingue, si besoin en était, des pages d’information, en chiffres arabes. D’une page, au début des années 1880, on passe à cinq au milieu de la décennie. Un chiffre qui peut encore doubler à la fin des années 1890 : « On quitte progressivement la morale fondée sur la limitation des besoins pour accepter une idéologie de la consommation » note Jean-Noël Marchandiau. Corollaire de cette croissance, le chiffre d’affaires généré par les annonces représente en 1897 près de 17% du total. Si le magazine dégage des bénéfices, il ne le doit plus aux abonnements mais aux seules recettes de la publicité.
Tout en faisant appel à quelques plumes prestigieuses comme François Coppée, Hector Malot, Alphonse Daudet ou encore René Bazin, L’Illustration s’attelle aussi à la publication de romans, en pages séparées et à la manière d’un feuilleton. On en dénombre au moins quatre par an. Même le roman policier, avec Gaston Leroux et son célèbre Rouletabille y trouveront place. Du roman, L’Illustration passe aux pièces de théâtre, annonçant ce qui deviendra sous l’ère Baschet les suppléments de la Petite Illustration. A l’actif de Lucien Marc, il faut aussi mettre une équipe de dessinateurs de talent, sérieusement étoffée. Ludovic Marchetti a succédé à Emile Bayard, disparu en 1892. Dans les salons de l’Hôtel de la rue Saint-Georges, il peut croiser Emmanuel Poiré, dit Caran d’Ache, ou encore Henriot qui a pris la relève de Draner en 1890. Avec les personnages de sa Semaine comique, il fera les délices des lecteurs jusqu’en 1934, date à laquelle il disparaîtra pour passer le relais à Cami et à sa Semaine camique. Avec son alter ego de la photographie, Ernest Clair-Guyot, il aura détenu le record de longueur de collaboration à L’Illustration. Autre figure recrutée sous Lucien Marc, celle de Georges Goursat, dit Sem. Lui aussi aura une longue carrière à L’Illustration.
L’une des grandes innovations de l’ère Lucien Marc sera le lancement des numéros spéciaux à parutions régulières, qui feront les beaux jours du magazine et des collectionneurs. Après deux essais en 1880 et en 1882, le premier véritable Numéro de Noël, en 1886 sortira en 1886. Les coûts d’impression sont prohibitifs, et la parution mobilise les équipes de l’imprimerie durant plusieurs semaines. D’une couverture illustrée et de seulement quatre planches en couleur, on passera progressivement à une dizaine puis à une quinzaine de pages, avec les premiers encarts portant des images contrecollées. Si l’opération n’est pas rentable côté abonnés, puisque le numéro de Noël est compris dans le prix de l’abonnement, elle permet de drainer de nouveaux lecteurs venus par l’achat au numéro. Quant au premier Salon artistique, avec des pages spécialement dédiées, il faudra attendre 1884 pour qu’il voie le jour, avec sa couverture spéciale. C’est aussi Lucien Marc qui a l’idée des suppléments afin de publier des romans (1897) et des pièces de théâtre (1898), sur des feuilles en petit et en grand format. De ces pages supplémentaires sortira en 1913 La Petite Illustration.
Cette politique de qualité et de diversité s’avère payante jusqu’à l’aube des années 1900. Entre 1887 et 1900, le tirage passe de plus de 22.000 exemplaires à près de 50.000. En 1903, l’année de la disparition de Lucien Marc, L’Illustration arrive à diffuser 48.750 exemplaires chaque semaine, dont 38.000 aux seuls abonnés. La courbe de ces derniers, qui financent par avance la publication, connaît donc elle aussi une évolution très positive, puisque leur nombre bondit de 14.000 à 40.000. La politique des numéros événementiels porte aussi ses fruits, avec des gains de ventes qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’exemplaires. L’Exposition universelle de 1889 en fera gagner plus de 7.000 et celle de 1900 plus de 5000. Entre temps, l’incendie du Bazar de la Charité, en 1897, en aura suscité 4.300. Mieux que l’Alliance franco russe. Chiffres d’affaires et bénéfices commencent à grimper sérieusement, ce qui conduit Lucien Marc à poursuivre sur la voie de l’innovation : l’acquisition de locaux plus vastes, l’équipement de l’imprimerie en matériel moderne sont, à ses yeux, nécessaires, pour maintenir la courbe ascendante des tirages et du chiffre d’affaires.
Pourtant, le tournant du siècle nouveau sonne le glas de la croissance et de la bonne santé relative de l’hebdomadaire. Les dépenses de fabrication ont de plus en plus de mal à être couvertes par les abonnements et les ventes au numéro. Pour peu que ces deux éléments s’orientent à la baisse et que les publicités se fassent moins nombreuses, c’est tout l’équilibre de l’hebdomadaire qui en pâtit. Les nouvelles machines à imprimer à réaction que l’on vient de faire rentrer, l’agrandissement de l’imprimerie des couleurs, la construction de nouveaux ateliers rue de la Victoire pèsent de plus en plus lourd dans les bilans annuels. Les actionnaires dont les dividendes ont baissé sont les premiers à s’en inquiéter. Faute de pouvoir ou de vouloir rogner sur la qualité, on va donc rogner sur les salaires : en avril 1902, dans tous les ateliers, le temps de travail baisse d’une demi-heure par jour, avec conséquemment une baisse des salaires. On comprend dès lors les difficultés qu’éprouve Lucien Marc à redresser la barre, entre des actionnaires qui se font de plus en plus pressants, une courbe du chiffre d’affaires qui stagne et des charges qui restent lourdes, avec des investissement qui pèsent dans les bilans. On commence aussi, au sein des administrateurs à remettre en cause la politique de Lucien Marc, jugée nettement moins prudente que celle de son père. Face à cette accumulation de problèmes, il semble pratiquer la « fuite en avant ». Puisque L’Illustration se suffit plus à alimenter la charge de travail de l’imprimerie, il choisit de lancer une nouvelle publication, Les Nouvelles Illustrées, dont le premier numéro sort en 1902. L’accueil que réserve le public à ce magazine bon marché, déclinaison plus « populaire » de L’Illustration, est plutôt décourageant. Faute de recettes publicitaires et d’un nombre suffisant d’acheteurs, les pertes se creusent mais Lucien Marc veut encore croire à la pérennité de la nouvelle publication. Il tente de l’imposer par une campagne de publicité, qui creuse un peu plus les finances et fait sourciller de plus en plus les actionnaires dont les dividendes fondent.
Sur une voie de plus en plus étroites, se sentant harcelé de toute part et craignant l’échec de sa politique, Lucien Marc qui a sombré dans la neurasthénie choisit de mettre fin à ses jours, le 11 juin 1903. Les lecteurs de L’Illustration n’en sauront rien puisque l’article qui lui rend hommage, publié le 20 juin, se contente de mentionner qu’il a « succombé à une congestion cérébrale déterminée par un excès de travail. La veille, peut-on également lire, après avoir pris une part active à la préparation du numéro, il avait consenti à s’accorder un peu de repos. Trop tardivement hélas. Ce devait être le grand repos définitif ». Un rapport de police, déniché aux archives de la préfecture de police par Jean-Noël Marchandiau (ouvrage cité), mentionne que « Le commissaire de police de la Plaine Monceau fait connaître que M. Lucien Marc (…) s’est suicidé en se tirant un coup de revolver à la tempe. La famille a demandé que ce suicide ne soit pas communiqué. Elle donnera à entendre que M. Marc est décédé d’une pneumonie ». Le rapport précise que « le directeur de L’Illustration était atteint de neurasthénie et ne dormait plus depuis quelque temps ».
La non révélation de son suicide permettra à la famille Marc de lui donner des obsèques religieuses en l’église Saint-Ferdinand des Ternes. L’assistance nombreuse pourra y entendre « M. Lederer exécuter au violon le prélude du « Déluge » de Saint-Saëns et M. Carbonne de l’Opéra Comique chanter le « Pie Jésus » de Stradella ». Avant l’inhumation au cimetière d’Auteuil, quatre discours auront été prononcés. Au nom de L’Illustration, P. Dussaud vient honorer « la mémoire d’un vaillant ouvrier qui, sans cesse courbé sur sa tâche, ne vivait que pour elle. Pour son journal, il avait les tendresses, les soins minutieux dont on entoure l’être faible et qu’on a presque vu naître. Certes, des résultats acquis, il pouvait être fier, mais si chaque progrès était pour lui une joie, ce n’était pas un repos car il n’y voyait qu’un encouragement à faire mieux ». Et de conclure que « A ce labeur incessant, il s’est avant l’âge usé ».
Deux académiciens lui succéderont : d’abord, Jules Clarétie, au nom de la rédaction de L’Illustration, à laquelle il collabore depuis 1855 puis Ferdinand Brunetière, en tant que président du Syndicat de la presse périodique. Un sénateur, M. Prévet, viendra rendre hommage au nom du Comité de la caisse des victimes du devoir, dont Lucien Marc était le trésorier. Enfin, Edmond Frank, au nom de l’ensemble des collaborateurs de L’Illustration, saluera « ses hautes et fortes qualités professionnelles (auxquelles) il joignait un précieux don de cœur (malgré) une apparente froideur ». Bel hommage unanime, mais qui ne fait pas oublier aux actionnaires que L’Illustration traverse une passe difficile. L’urgence est de choisir un capitaine capable de tenir la barre d’un navire qui commence à prendre l’eau. A quelques centimètres de l’article nécrologique, orné d’une grand gravure de Lucien Marc, on peut lire un entrefilet annonçant la convocation des actionnaires pour le 10 juillet 1903, aux fins de choisir un successeur à Lucien Marc. Ce sera un « inconnu » du grand public : Victor Depaëpe qui ne dirigera l’hebdomadaire que durant huit mois, avant l‘arrivée de René Baschet pour un « bail » de quarante ans à la tête de L’Illustration.
On retrouve Lucien Marc à la fondation du Syndicat de la presse périodique, dans lequel il se révèle rapidement bon organisateur. Volontiers patriote, il s’engage en 1870, dans l’artillerie de la Garde nationale. D’abord simple garde, chargé de guetter sur les remparts parisiens, il poursuivra comme attaché à l’Etat major. La Commune de Paris l’inquiète, au point qu’il élira domicile à Suresnes, pour ne regagner la capitale qu’à la fin du soulèvement. Selon Jean-Noël Marchandiau, qui a pu avoir accès aux archives du 1er bureau de la 4ème brigade des recherches, on s’intéresse beaucoup à ses idées, en haut lieu : « Il possède la fortune et au point de vue politique, il professe des opinions bonapartistes, mais ne s’occupe ni de politique, ni de propagande. Il passe pour un homme d’ordre » (cité dans L’Illustration 1843-1944, vie et mort d’un journal, éd. Privat). Un homme bien sous tout rapport, ce qui lui vaudra, après une nouvelle enquête, encore favorable, de recevoir la Légion d’honneur en 1894, au titre du ministère du commerce.
Au sein de l’hebdomadaire, Lucien Marc entend jouer pleinement son rôle de directeur. Tout en rédigeant L’histoire de la semaine, qui donne une certaine orientation, il est le point de passage obligé pour la publication de tout article. Il passe pour méfiant vis-à-vis du personnel politique au point de ne pas faire mystère de ses inclinations antiparlementaires. Pour lui, le député n’est au mieux qu’un bavard incapable, incompétent en politique étrangère et à l’efficacité quasi nulle. On aura un aperçu de cette défiance avec la publication dans L’Illustration du 26 octobre 1901 d’une pleine page de dessins exécutés par des parlementaires soucieux de « tuer le temps », lors d’une séance. Le tout sur papier à en tête de la chambre des députés. Titre de la page : « Travaux parlementaires ». Camille Pelletan, Jean Jaurès ou encore Alexandre Millerand sont de la revue. Ces couplets récurrents contre les politiciens ne lui font toutefois pas franchir la ligne qui démarque L’Illustration de ses confrères tels que La libre parole de Drumont ou L’Intransigeant, des organes au ton plus polémique et nettement plus brutal, pour ne pas dire vulgaire. Selon Jean-Noël Marchandiau, Lucien Marc semble s’assagir quelque peu à la fin de la décennie 1890. Ses nouvelles cibles deviennent davantage les socialistes, en la personne de Jean Jaurès, qualifié de « Saint-Jean bouche d’or du socialisme », ou les premiers syndicats qui fomentent des grèves. Contre elles, Lucien Marc considère que seule la force doit se faire entendre. La grève des cochers de fiacre à Paris, en 1889, lui donnera l’occasion de dénoncer le mouvement, via des articles virulents et surtout par le fameux portrait du cocher publié à la une de L’Illustration, le 22 juin 1889.
Conservateur en politique, Lucien Marc l’est beaucoup moins en journalisme. Pour lui ,le journaliste doit être là où se joue l’événement, d’où son goût pour les reportages dans l’Hexagone et au delà, le tout agrémenté d’images. Dans son barda, à côté de ses traditionnels crayons, le reporter va devoir faire de la place pour des appareils photographiques. Grâce aux progrès techniques, on commence à savoir tirer profit de la photo et à la marier avec la technique de la gravure. Lucien Marc va embaucher Ernest Clair-Guyot qui passera un demi siècle de sa vie au service de L’Illustration, faisant la liaison entre la gravure sur bois et la reproduction photographique, qu’il contribuera à améliorer. Il en fera le récit dans le numéro spécial de juillet 1933 consacré à la nouvelle imprimerie de Bobigny.
Dans un monde qui se prépare à la Revanche, le directeur de L’Illustration ne peut qu’applaudir au rapprochement entre la France et la puissante Russie, initié par Alexandre III et formalisé avec Nicolas II. Il ne faudra pas moins de trois numéros de L’Illustration pour épuiser la visite du jeune souverain russe à Paris en 1896. On consacrera autant de numéros à l’escapade du président Emile Loubet en terre russe, quelques années plus tard. A l’inverse, vis-à-vis de la « Perfide Albion », Lucien Marc fait montre d’une plus grande méfiance, voire d’anglophobie. Ce qui ne l’empêchera pas, le moment venu, de glisser vers une relative anglomanie, dont les premiers effets se font sentir lors de la visite d’Edouard VII à Paris en mai 1903. Bref, l’Entente cordiale finira par triompher des préjugés de Lucien Marc. Face à l’Allemagne, le parcours de Lucien Marc et de L’Illustration, vont à l’inverse de celui de l’Angleterre. Nuancé, prudent vis-à-vis des incidents qui peuvent surgir entre la France et son voisin germanique, le directeur de L’Illustration changera d’attitude dès lors que Guillaume II aura réaffirmé sa ferme intention de maintenir coûte que coûte l’Alsace et la Lorraine dans le giron du Reich, tout en s’appuyant sur l’unité de son jeune empire pour maintenir « une autorité ferme » à l’égard de la France.
Au plan intérieur, assumer la direction de L’Illustration durant deux décennies agitées n’aura pas été un long fleuve tranquille, obligeant à naviguer entre les écueils des grandes crises politiques. Dans l’affaire du général Boulanger, face à laquelle L’Illustration veut garder la tête froide, Lucien Marc lâche cependant la bride à ses dessinateurs : Caran d’Ache, épaulé par Grosclaude pour les textes, peut s’en donner à cœur joie dans son Boulangeorama, publié le 16 février 1889. Avec la crise de Panama, il en appelle à la justice pour qu’elle remplisse son rôle et démasque dans le monde politique les « chéquards », destinataires des chèques des financiers de Panama. Là encore, c’est par les dessins de Caran d’Ache que viendront les excès. Son « Art de donner des chèques et les différentes manières de le recevoir », inséré en pleine page dans le numéro du 10 décembre 1892 reprend les poncifs de l’antisémitisme et de l’antiparlementarisme.
Ce sera ensuite l’affaire Dreyfus, le portrait du capitaine faisant même irruption à la une de L’Illustration, dès le 22 décembre 1894. Dreyfus apparaît comme forcément coupable et il n’en sera plus guère question jusqu’en 1897, lorsque la campagne de réhabilitation commence à pointer les faiblesses et les iniquités du dossier. A ce moment, Lucien Marc se montre davantage partagé, même s’il peut encore déplorer ce qui lui semble être des excès de langage chez Zola, avec son J’Accuse. En 1899, avec l’annulation par la cour de cassation du jugement de 1894, prélude au retour de Dreyfus en France, il éprouve sans doute un réel soulagement. Dès lors, L’Illustration consacrera de nombreuses pages au retour de l’ex- bagnard de l’Ile du diable et au jugement de Rennes. En 1906, au moment de la réhabilitation et de la réintégration de Dreyfus dans l’armée, L’Illustration y consacrera plusieurs pages. Lucien Marc n’est alors plus de ce monde depuis trois ans.
L’agitation politique et les louvoiement de L’Illustration et de son directeur ne doivent pas faire oublier que c’est sous la direction de Lucien Marc que le magazine amorce un véritable décollage, que ce soit en en terme de pagination, de volume publicitaire, de diffusion ou au plan technique. On doit au prédécesseur de René Baschet plusieurs changements de taille.
Le changement est d’abord extérieur, avec l’apparition d’une couverture de couleur en 1888. Sous le titre L’Illustration, Journal universel, elle reproduit les outils du graveur, enlacés par un ruban, et comporte les différentes informations pratiques (date, prix du numéro, adresse et montant des abonnements). Sauf pour quelques rares événements ou bientôt pour les numéros de Noël ou du Salon de peinture, elle va immuablement marquer la cadence hebdomadaire jusqu’en décembre 1929, date à laquelle elle disparaîtra pour faire (enfin) place à une couverture illustrée. Seuls sa couleur et le grammage de son papier varieront en un demi-siècle. Cette innovation va générer une dépense supplémentaire de 26.000 francs qui devrait être largement compensée par les annonces publicitaires qui pourront s’y nicher. En même temps, la pagination annuelle s’accroît quelque peu et, si les 832 pages annuelles restent la règle, avec 16 pages par livraison, leur nombre peut grimper épisodiquement. L’image reste un élément central, mais la volonté de Lucien Marc est de les multiplier, sans augmenter la part qui leur est consacrée. Ce sera donc moins de grandes compositions pleine page ou doubles pages, et davantage d’images, entre gravures et photos, fussent-elles plus petites.
Dans le même temps, b[ L’Illustration s’ouvre plus largement aux annonces publicitaires]b. Entre la 2è, la 3è et la 4è de couverture, elles parviennent à s’insinuer et peuvent déborder sur les pages intérieures. C’est Lucien Marc qui fait adopter la répartition des pages de publicités qui restera la marque de L’Illustration pendant trois quarts de siècles : des pages de publicité avant et après les pages d’information, mais jamais entre. L’avantage est aussi qu’elles peuvent être retirées au moment de la reliure des fascicules. Elles sont dotées d’une numérotation en chiffres romains qui les distingue, si besoin en était, des pages d’information, en chiffres arabes. D’une page, au début des années 1880, on passe à cinq au milieu de la décennie. Un chiffre qui peut encore doubler à la fin des années 1890 : « On quitte progressivement la morale fondée sur la limitation des besoins pour accepter une idéologie de la consommation » note Jean-Noël Marchandiau. Corollaire de cette croissance, le chiffre d’affaires généré par les annonces représente en 1897 près de 17% du total. Si le magazine dégage des bénéfices, il ne le doit plus aux abonnements mais aux seules recettes de la publicité.
Tout en faisant appel à quelques plumes prestigieuses comme François Coppée, Hector Malot, Alphonse Daudet ou encore René Bazin, L’Illustration s’attelle aussi à la publication de romans, en pages séparées et à la manière d’un feuilleton. On en dénombre au moins quatre par an. Même le roman policier, avec Gaston Leroux et son célèbre Rouletabille y trouveront place. Du roman, L’Illustration passe aux pièces de théâtre, annonçant ce qui deviendra sous l’ère Baschet les suppléments de la Petite Illustration. A l’actif de Lucien Marc, il faut aussi mettre une équipe de dessinateurs de talent, sérieusement étoffée. Ludovic Marchetti a succédé à Emile Bayard, disparu en 1892. Dans les salons de l’Hôtel de la rue Saint-Georges, il peut croiser Emmanuel Poiré, dit Caran d’Ache, ou encore Henriot qui a pris la relève de Draner en 1890. Avec les personnages de sa Semaine comique, il fera les délices des lecteurs jusqu’en 1934, date à laquelle il disparaîtra pour passer le relais à Cami et à sa Semaine camique. Avec son alter ego de la photographie, Ernest Clair-Guyot, il aura détenu le record de longueur de collaboration à L’Illustration. Autre figure recrutée sous Lucien Marc, celle de Georges Goursat, dit Sem. Lui aussi aura une longue carrière à L’Illustration.
L’une des grandes innovations de l’ère Lucien Marc sera le lancement des numéros spéciaux à parutions régulières, qui feront les beaux jours du magazine et des collectionneurs. Après deux essais en 1880 et en 1882, le premier véritable Numéro de Noël, en 1886 sortira en 1886. Les coûts d’impression sont prohibitifs, et la parution mobilise les équipes de l’imprimerie durant plusieurs semaines. D’une couverture illustrée et de seulement quatre planches en couleur, on passera progressivement à une dizaine puis à une quinzaine de pages, avec les premiers encarts portant des images contrecollées. Si l’opération n’est pas rentable côté abonnés, puisque le numéro de Noël est compris dans le prix de l’abonnement, elle permet de drainer de nouveaux lecteurs venus par l’achat au numéro. Quant au premier Salon artistique, avec des pages spécialement dédiées, il faudra attendre 1884 pour qu’il voie le jour, avec sa couverture spéciale. C’est aussi Lucien Marc qui a l’idée des suppléments afin de publier des romans (1897) et des pièces de théâtre (1898), sur des feuilles en petit et en grand format. De ces pages supplémentaires sortira en 1913 La Petite Illustration.
Cette politique de qualité et de diversité s’avère payante jusqu’à l’aube des années 1900. Entre 1887 et 1900, le tirage passe de plus de 22.000 exemplaires à près de 50.000. En 1903, l’année de la disparition de Lucien Marc, L’Illustration arrive à diffuser 48.750 exemplaires chaque semaine, dont 38.000 aux seuls abonnés. La courbe de ces derniers, qui financent par avance la publication, connaît donc elle aussi une évolution très positive, puisque leur nombre bondit de 14.000 à 40.000. La politique des numéros événementiels porte aussi ses fruits, avec des gains de ventes qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’exemplaires. L’Exposition universelle de 1889 en fera gagner plus de 7.000 et celle de 1900 plus de 5000. Entre temps, l’incendie du Bazar de la Charité, en 1897, en aura suscité 4.300. Mieux que l’Alliance franco russe. Chiffres d’affaires et bénéfices commencent à grimper sérieusement, ce qui conduit Lucien Marc à poursuivre sur la voie de l’innovation : l’acquisition de locaux plus vastes, l’équipement de l’imprimerie en matériel moderne sont, à ses yeux, nécessaires, pour maintenir la courbe ascendante des tirages et du chiffre d’affaires.
Pourtant, le tournant du siècle nouveau sonne le glas de la croissance et de la bonne santé relative de l’hebdomadaire. Les dépenses de fabrication ont de plus en plus de mal à être couvertes par les abonnements et les ventes au numéro. Pour peu que ces deux éléments s’orientent à la baisse et que les publicités se fassent moins nombreuses, c’est tout l’équilibre de l’hebdomadaire qui en pâtit. Les nouvelles machines à imprimer à réaction que l’on vient de faire rentrer, l’agrandissement de l’imprimerie des couleurs, la construction de nouveaux ateliers rue de la Victoire pèsent de plus en plus lourd dans les bilans annuels. Les actionnaires dont les dividendes ont baissé sont les premiers à s’en inquiéter. Faute de pouvoir ou de vouloir rogner sur la qualité, on va donc rogner sur les salaires : en avril 1902, dans tous les ateliers, le temps de travail baisse d’une demi-heure par jour, avec conséquemment une baisse des salaires. On comprend dès lors les difficultés qu’éprouve Lucien Marc à redresser la barre, entre des actionnaires qui se font de plus en plus pressants, une courbe du chiffre d’affaires qui stagne et des charges qui restent lourdes, avec des investissement qui pèsent dans les bilans. On commence aussi, au sein des administrateurs à remettre en cause la politique de Lucien Marc, jugée nettement moins prudente que celle de son père. Face à cette accumulation de problèmes, il semble pratiquer la « fuite en avant ». Puisque L’Illustration se suffit plus à alimenter la charge de travail de l’imprimerie, il choisit de lancer une nouvelle publication, Les Nouvelles Illustrées, dont le premier numéro sort en 1902. L’accueil que réserve le public à ce magazine bon marché, déclinaison plus « populaire » de L’Illustration, est plutôt décourageant. Faute de recettes publicitaires et d’un nombre suffisant d’acheteurs, les pertes se creusent mais Lucien Marc veut encore croire à la pérennité de la nouvelle publication. Il tente de l’imposer par une campagne de publicité, qui creuse un peu plus les finances et fait sourciller de plus en plus les actionnaires dont les dividendes fondent.
Sur une voie de plus en plus étroites, se sentant harcelé de toute part et craignant l’échec de sa politique, Lucien Marc qui a sombré dans la neurasthénie choisit de mettre fin à ses jours, le 11 juin 1903. Les lecteurs de L’Illustration n’en sauront rien puisque l’article qui lui rend hommage, publié le 20 juin, se contente de mentionner qu’il a « succombé à une congestion cérébrale déterminée par un excès de travail. La veille, peut-on également lire, après avoir pris une part active à la préparation du numéro, il avait consenti à s’accorder un peu de repos. Trop tardivement hélas. Ce devait être le grand repos définitif ». Un rapport de police, déniché aux archives de la préfecture de police par Jean-Noël Marchandiau (ouvrage cité), mentionne que « Le commissaire de police de la Plaine Monceau fait connaître que M. Lucien Marc (…) s’est suicidé en se tirant un coup de revolver à la tempe. La famille a demandé que ce suicide ne soit pas communiqué. Elle donnera à entendre que M. Marc est décédé d’une pneumonie ». Le rapport précise que « le directeur de L’Illustration était atteint de neurasthénie et ne dormait plus depuis quelque temps ».
La non révélation de son suicide permettra à la famille Marc de lui donner des obsèques religieuses en l’église Saint-Ferdinand des Ternes. L’assistance nombreuse pourra y entendre « M. Lederer exécuter au violon le prélude du « Déluge » de Saint-Saëns et M. Carbonne de l’Opéra Comique chanter le « Pie Jésus » de Stradella ». Avant l’inhumation au cimetière d’Auteuil, quatre discours auront été prononcés. Au nom de L’Illustration, P. Dussaud vient honorer « la mémoire d’un vaillant ouvrier qui, sans cesse courbé sur sa tâche, ne vivait que pour elle. Pour son journal, il avait les tendresses, les soins minutieux dont on entoure l’être faible et qu’on a presque vu naître. Certes, des résultats acquis, il pouvait être fier, mais si chaque progrès était pour lui une joie, ce n’était pas un repos car il n’y voyait qu’un encouragement à faire mieux ». Et de conclure que « A ce labeur incessant, il s’est avant l’âge usé ».
Deux académiciens lui succéderont : d’abord, Jules Clarétie, au nom de la rédaction de L’Illustration, à laquelle il collabore depuis 1855 puis Ferdinand Brunetière, en tant que président du Syndicat de la presse périodique. Un sénateur, M. Prévet, viendra rendre hommage au nom du Comité de la caisse des victimes du devoir, dont Lucien Marc était le trésorier. Enfin, Edmond Frank, au nom de l’ensemble des collaborateurs de L’Illustration, saluera « ses hautes et fortes qualités professionnelles (auxquelles) il joignait un précieux don de cœur (malgré) une apparente froideur ». Bel hommage unanime, mais qui ne fait pas oublier aux actionnaires que L’Illustration traverse une passe difficile. L’urgence est de choisir un capitaine capable de tenir la barre d’un navire qui commence à prendre l’eau. A quelques centimètres de l’article nécrologique, orné d’une grand gravure de Lucien Marc, on peut lire un entrefilet annonçant la convocation des actionnaires pour le 10 juillet 1903, aux fins de choisir un successeur à Lucien Marc. Ce sera un « inconnu » du grand public : Victor Depaëpe qui ne dirigera l’hebdomadaire que durant huit mois, avant l‘arrivée de René Baschet pour un « bail » de quarante ans à la tête de L’Illustration.
VICTOR DEPAËPE (1848-1904) Directeur de 1903 à 1904
Pour succéder à Lucien Marc, les membres du Conseil de surveillance réunis en l’hôtel de la rue Saint-Georges portent leur choix sur Victor-Alfred Depaëpe. Né en 1848, il est entré à L’Illustration au début des années 1880. Progressivement, il est devenu l’un des principaux collaborateurs de Lucien marc. Sans revenir sur la ligne éditoriale de son prédécesseur marquée par « l’indépendance et le respect de toutes les opinions », il entend bien redynamiser les ventes du magazine, notamment en province. Pour rendre L’Illustration plus visible, au milieu d’une concurrence accrue, libraires et marchands de journaux sont l’objet de toutes les attentions. Les ventes s’en ressentiront positivement. Il reste aussi à régler le dossier épineux des Nouvelles illustrées, "l’enfant" de Lucien Marc. Sans aller jusqu’à franchir le pas de la suppression pure et simple du magazine, quelques semaines après la disparition du fondateur, il taille dans les frais de fabrication en abandonnant la gravure au profit de la photographie, moins onéreuse. Depaëpe, sous des allures austères, semble cacher un homme apte à moderniser le contenu en donnant un peu plus de nerf aux articles.
Les premiers effets s’en font sentir positivement au début de 1904 mais Depaëpe n’aura pas le temps d’en recueillir les fruits : le 7 février 1904, il succombe à une pneumonie. Le 13 février, les lecteurs découvrent la nouvelle dans le numéro qui lui rend un hommage, dans lequel la personne de Lucien Marc reste omniprésente : « Depuis huit mois à peine, il occupait à la tête de L’Illustration la place laissée vacante par la mort prématurée du très regretté Lucien Marc (…). Mais il y avait plus de vingt ans qu’il appartenait à la maison. Auxiliaire dévoué de son éminent prédécesseur, il lui avait longtemps apporté le précieux concours de ses solides qualités de travailleur, de son esprit pratique, de sa conscience professionnelle. Dans ses attributions, d’abord modestes, puis graduellement élargies, au fur et à mesure que se développait et prospérait le journal, sous l’impulsion d’une haute intelligence, d’une initiative hardie, il avait contribué au développement de cette prospérité ». L’article donne quitus à la gestion d’un homme qui « ne déçut pas la confiance mise en son activité, en ses capacités administratives, en son expérience consommée acquise au cours des vingt années passées aux côtés et à l’école du meilleur des maîtres (sic). Il sut conserver au plus important des périodiques illustrés français la faveur du public fidèle, augmenter même le nombre de ses lecteurs». Bref, il laisse « aux mains de ceux qui recueilleront sa succession une œuvre fortement fondée sur une saine tradition, jointe aux idées novatrices de progrès continu ». Ces « mains » ce seront celles de René Baschet qui saura séduire le conseil de surveillance, face à une vingtaine de candidats, après un court intérim assuré par M. Ménard, administrateur de L’Illustration.
Les premiers effets s’en font sentir positivement au début de 1904 mais Depaëpe n’aura pas le temps d’en recueillir les fruits : le 7 février 1904, il succombe à une pneumonie. Le 13 février, les lecteurs découvrent la nouvelle dans le numéro qui lui rend un hommage, dans lequel la personne de Lucien Marc reste omniprésente : « Depuis huit mois à peine, il occupait à la tête de L’Illustration la place laissée vacante par la mort prématurée du très regretté Lucien Marc (…). Mais il y avait plus de vingt ans qu’il appartenait à la maison. Auxiliaire dévoué de son éminent prédécesseur, il lui avait longtemps apporté le précieux concours de ses solides qualités de travailleur, de son esprit pratique, de sa conscience professionnelle. Dans ses attributions, d’abord modestes, puis graduellement élargies, au fur et à mesure que se développait et prospérait le journal, sous l’impulsion d’une haute intelligence, d’une initiative hardie, il avait contribué au développement de cette prospérité ». L’article donne quitus à la gestion d’un homme qui « ne déçut pas la confiance mise en son activité, en ses capacités administratives, en son expérience consommée acquise au cours des vingt années passées aux côtés et à l’école du meilleur des maîtres (sic). Il sut conserver au plus important des périodiques illustrés français la faveur du public fidèle, augmenter même le nombre de ses lecteurs». Bref, il laisse « aux mains de ceux qui recueilleront sa succession une œuvre fortement fondée sur une saine tradition, jointe aux idées novatrices de progrès continu ». Ces « mains » ce seront celles de René Baschet qui saura séduire le conseil de surveillance, face à une vingtaine de candidats, après un court intérim assuré par M. Ménard, administrateur de L’Illustration.
RENE BASCHET (1860-1949) Directeur de 1904 à 1944
Né à Paris, le 6 mai 1860, il est le fils aîné de Ludovic Baschet (18 septembre 1834-13 juin 1909), Ce dernier, peintre décoratif de formation, a opté en 1876 pour l’édition d’art en publiant La galerie contemporaine des illustrations françaises. La revue contenait une suite de biographies de personnalités de l'époque avec leurs portraits contrecollés: "Un départ bien modeste avec une petite imprimerie de fortune. Toute la famille collabora, grands parents, femme et enfants, en encartant dans les feuilles de textes, les reproductions en photoglyptie des gens célèbres. Le succès dépassa les espérances. Ainsi débutait une grande série d’éditions luxueuses". Ludovic Baschet avait fondé sa Librairie d’art avec pour devise "Bien faire" .Tout un programme. Après René, Ludovic Baschet aura cinq autres enfants dont le peintre et portraitiste Marcel Baschet (1862-1941) et le critique d’art et futur responsable des services artistiques de L'Illustration, Jacques Baschet (1872-1952).
Ses études secondaires (Lycées Condorcet et Rollin) et supérieures (faculté de Droit) achevées, René Baschet épaule son père dans la gestion de la Librairie d’art. Il participe à la publication d’albums artistiques sur les Salons de peinture et les musées. Dès 1883, il dirige Paris Illustré puis, en 1885 La Revue Illustrée. Celle-ci ouvre régulièrement ses pages à de grandes plumes telles que Guy de Maupassant, Emile Zola, Maurice Barrès, ou encore Francisque Sarcey et Anatole France. Cette revue, publiée jusqu'en 1912, est aujourd'hui très recherchée, à la fois pour sa rareté et pour la qualité de ses illustrations, dont certaines déjà en couleur, annoncent les perfectionnements techniques que René Baschet imposera à L'Illustration.
Entre temps, René Baschet a épousé le 21 juin 1887 Marguerite Guillemeteau (1868-1948). De cette union, naîtront trois fils : Louis Baschet (11 mars 1889- 25 juin 1972), Jean Baschet (12 novembre 1890 - 22 janvier 1963) et René-Pierre (17 avril 1896- 25 septembre 1917). A chaque fin de semaine, toute la famille se retrouve à Gagny où les Baschet ont aménagé plusieurs maisons dans un Parc. En 1895, René Baschet lance une nouvelle publication, Le Panorama, qui associe les faits d’actualité et l’image, à la différence de la Revue Illustrée qui se cantonnait davantage dans les comptes-rendus artistiques, expositions et salons. Il est aussi administrateur des Annales politiques et littéraires, en compagnie d'Adolphe Brisson. A l'aube du XXe siècle, René Baschet est donc déjà solidement implanté dans la presse illustrée de qualité.
En 1904, b[René Baschet se porte candidat à la direction de L’Illustration]b. En quelques mois, l’hebdomadaire, qui connaît quelques difficultés et dont la diffusion stagne, a vu disparaître en un an deux directeurs : Lucien Marc et Victor-Alfred Depaëpe. Le 4 mars 1904, les actionnaires de L’Illustration doivent donc à nouveau choisir leur directeur parmi 25 candidats venus d'horizon divers. Jules Clarétie est ainsi sur les rangs. C’est finalement René Baschet qui l’emporte. Il a alors 44 ans : « Quittant la Revue illustrée, il va se consacrer avec ardeur à sa nouvelle tâche et il trouvera dans cette grande maison qu’est déjà l’Illustration le terrain favorable où il se prodiguera sans compter et multipliera les initiatives les plus heureuses et les plus fécondes. Sous l’impulsion du nouveau directeur qui a le sens exact des besoins et des désirs du public, ainsi que le goût de la belle gravure, de l’impression et de la présentation impeccable, L’illustration va en quelques années augmenter considérablement son tirage (qui) progressera régulièrement de 10.000 exemplaire par an, pour atteindre 140.000 exemplaires à la veille de la Première Guerre mondiale ».
En arrivant rue Saint-Georges, René Baschet trouve une équipe dont plusieurs membres vont accompagner pendant plusieurs décennies le développement de L’Illustration : Maurice Normand, entré au journal en 1894 et rédacteur en chef jusqu’en 1923. C'est lui qui introduira son gendre, Robert de Beauplan. Gaston Sorbets, rédacteur depuis 1902 puis rédacteur en chef de 1923 à 1944. Lui aussi fera entrer son fils, Jacques Sorbets à la rédaction. Tout comme Ernest Clair-Guyot, photographe à L'Illustration pendant un demi-siècle et qui passera le témoin à son fils Jean Clair-Guyot, reporter et photographe entre le début des années 1920 et 1944.Quant à André Chatenet, directeur de l’imprimerie, il aura à assumer jusqu'à sa mort en 1924, la responsabilité de la fabrication, entre une imprimerie de plus en plus saturée face à un tirage qui s’envole. L'imprimerie de Saint-Mandé, ouverte en 1919 afin de soulager celle de la rue Saint-Georges, va très vite révéler ses limites de développement. En même temps, René Baschet s’adjoint les services de plusieurs membres de sa famille : Louis Baschet (1889-1972), son fils aîné, entre au journal dès 1908, en charge de l’organisation de la Caisse des retraites et du personnel. En 1922, il est nommé secrétaire général de L’Illustration avant d’en devenir le co-directeur. Un autre de ses fils, Jean Baschet (1890-1963), assumera dans les années 1920, l’administration de la caisse sociale de l’entreprise et occupera les fonctions d’administrateur général. Enfin, Pierre Baschet, le fils cadet, né en 1896, élève à l’Ecole nationale supérieure des beaux arts, aura à peine le temps de faire ses premières armes à L’Illustration, avant de disparaître au combat, le 25 septembre 1917, tué par un éclat d’obus. Quant à Jacques Baschet (1872-1952), frère de René Baschet, historien d’art et administrateur du Mobilier national, il s’installe lui aussi rue Saint-Georges et devient directeur des services artistiques de L’Illustration et critique d’art. C’est lui qui rédigera chaque année les comptes rendus des expositions et salons de peinture, pour le numéro de printemps. C’est également lui qui va superviser la réalisation des fameux numéros de Noël et, plus généralement des nombreux numéros spéciaux. Excellents vecteurs de publicité, ils vont se multiplier. Dans les années 1930, son propre fils, Roger Baschet, né en 1902, se fera peu à peu un nom dans les colonnes de l’hebdomadaire, entre critique artistique et articles de variété, tout en devenant adjoint aux services artistiques. Enfin, bien qu’il ne fasse pas partie du personnel de L’Illustration, on ne peut passer sous silence l’autre frère de René Baschet, le peintre Marcel Baschet. Grand prix de Rome, il est devenu l’un des grands portraitistes de la IIIe République et L’Illustration ne manquera pas de reproduire quelques-uns de ses portraits, que ce soit les gloires militaires de la Grande guerre ou les responsables politiques. Il n’est pas rare que le numéro du Salon de peinture fasse référence à ses œuvres, sous la plume de son frère, Jacques Baschet.
A la veille de la grande Guerre, René Baschet est donc parvenu à b[porter la diffusion de L’Illustration au delà des 100.000 exemplaires]b. De 48.750 exemplaires diffusés en 1903 (dont 38.000 abonnés), la revue affiche en 1913 une diffusion de 131.266 exemplaires (dont 113.057 abonnés). Certains numéros connaîtront plusieurs tirages totalisant jusqu’à 600.000 exemplaires. Malgré un retour à des chiffres plus sages, le problème de la capacité de production de l’imprimerie se pose de plus en plus, ce qui le pousse à faire construire une imprimerie annexe à Saint-Mandé en 1919. Une solution provisoire et pas entièrement satisfaisante puisque la fabrication nécessite des va et vient entre la rue Saint-Georges et Saint-Mandé. C’est ce qui conduira à la fin des années 20 à l’étude puis à la réalisation d’une nouvelle imprimerie, sur un site unique, en banlieue parisienne. Ce sera Bobigny dont le projet mis à l’étude dès 1928-1929 est confié à Louis Baschet. Inaugurée le 30 juin 1933, l’imprimerie était opérationnelle depuis le mois de février. Elle est l’œuvre maîtresse des Baschet, père et fils.
Dans cette période de l’entre deux guerres, l’empire Baschet s’est aussi étoffé : aux anciennes publications comme La Petite illustration, s’ajoutent de nouvelles comme L’Illustration économique et financière (1919-1930), L’Illustration des Modes qui n’aura qu’une existence éphémère entre octobre 1920 et juin 1922, et Plaisirs de France qui paraîtra entre 1934 et 1943, avant de renaître après guerre. C’est aussi le moment où les Baschet Père et fils créent les éditions de L’Illustration, dans la lignée du succès de l’Album de guerre. L’entreprise développe enfin ses propres papeteries (Lux à Furès dans l’Isère et les papeteries de Savoie, à La Serraz). L’essentiel de leur production alimente les presses de Bobigny. Il faut dire que le nombre de pages imprimées, sans compter les publicités et les numéros spéciaux, n’a cessé de croître : de 1.158 pages de rédaction en 1913, on est passé à 1.276 en 1924, à 1.504 en 1928 et à 1.634 en 1929. C’est ce qui explique que l’on ait profité du changement de formule et de format, en 1930, pour faire relier L’Illustration, non plus par semestre, comme c’était le cas depuis l’origine, mais par quadrimestre. De quoi rendre les volumes moins lourds et plus maniables.
C’est alors pour René Baschet le temps des honneurs : commandeur de la Légion d’honneur en 1928, il accueillera à Bobigny des personnalités de tous ordres venus découvrir ce qui passe pour la plus moderne des imprimeries, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde. Ses pairs le portent à la présidence du Syndicat de la presse parisienne et la Fédération nationale des journaux français en fait son vice-président. L’Institut lui ouvre ses portes, dans la section des Beaux arts en 1935, au fauteuil de Justin de Selves. Fait exceptionnel, il rejoint son frère, le peintre Marcel Baschet, qui y siège déjà depuis 1913. Au fait de sa gloire dans les années qui précèdent la seconde guerre mondiale, René Baschet n’en reste pas moins conscient des difficultés économiques et financières qui mettent en danger l’entreprise, ainsi que Jean-Noël Marchandiau l’a démontré.
La crise économique n’explique toutefois pas à elle seule la diffusion en baisse, les déficits successifs ou la publicité en perte de vitesse.La formule a vieilli, malgré les tentatives de rajeunissement de la mise en page qui se sont succédé à partir de 1930. Il aura ainsi fallu attendre la 87ème année de parution pour que la magazine troque son immuable livrée, avec les outils du graveurs au centre, pour ouvrir une fenêtre photographique. Dans la seule décennie 1930-1940, la couverture sera modifiée trois fois, ainsi que la mise en page. En janvier 1930, dans le numéro qui inaugure la nouvelle présentation, avec un format légèrement réduit, L’Illustration s’enorgueillit d’être diffusée dans 126 pays différents, dont 15 reçoivent chaque semaine plus de 1.000 exemplaires. Quant à la diffusion elle se répartit alors entre la France métropolitaine (135.000 exemplaires), les colonies (10.000) et les pays étrangers (55.000), ce qui laisse entrevoir un tirage alors à 200.000 exemplaires.
Après l’exode et l’Armistice de juin 1940, René Baschet opte pour b[la reparution de L’Illustration à Paris]b, ce qui permettra de récupérer à la fois le siège du journal et l’imprimerie de Bobigny : "Fallait-il, écrira-t-il, laisser l’ennemi dans la place, lui offrant ainsi l’occasion de l’utiliser librement pour les fins de sa propagande ou, au contraire, venir la lui disputer, en tentant l’impossible pour minimiser son emprise ? C’est cette dernière voie qui fut choisie. Elle se révéla ingrate et douloureuse". Sans revenir sur les démêlés avec Jacques de Lesdain et l’équipe imposée par l’ambassade d’Allemagne, on peut rappeler les propos du Comte Doriat, dans l’hommage rendu par l’Institut à René Baschet en 1958 : « Pendant quatre longues années, soutenu par une équipe fidèle, René Baschet luttera avec opiniâtreté et courage contre les exigences et l’emprise des allemands et il pourra ainsi, à la libération, apporter la preuve que les services importants et multiples rendus par lui à son personnel, aux victimes de l’ennemi et aux organisations de résistance et de lutte contre l’Occupant, n’avaient été possibles que par le maintien de l’activité de l’entreprise, sous son couvert et avec ses ressources ». Une ligne de défense que partagera avec lui son fils, Louis Baschet, alors codirecteur. On ne manquera pas de reprocher à René Baschet d’avoir assumé la présidence d’honneur du Groupement corporatif de la Presse périodique générale dans la cadre de la Corporation nationale de la Presse présidée par l’encombrant directeur des Nouveaux temps, le "fonds - secrétier" Jean Luchaire, condamné à mort et fusillé le 22 février 1946. Tout comme on ressortira cette photo d’un banal banquet corporatif où l’on entrevoit René Baschet aux côtés de Jean Luchaire .
Paris libéré, b[les espoirs de poursuivre la publication de L’Illustration s’effondrent ]b très vite. En septembre 1944, la société éditrice, Baschet et Cie est suspendue et tous ses biens mis sous séquestre des domaines. En décembre, une information est ouverte contre René et Louis Baschet pour "atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat". Il faudra trois ans de combats juridiques avant que la justice ne rende en 1948 un non lieu au profit des deux hommes, reconnaissant ainsi leur innocence : "Un an avant sa mort, René Baschet qui ne parvenait pas à comprendre l’injuste sort qui lui était fait, eut enfin la suprême satisfaction de voir reconnaître son innocence par la justice de son pays en des termes qui prouvaient qu’il n’avait, à aucun moment des heures dramatiques de l’Occupation failli à sa tâche". La décision venait pourtant trop tard pour le vieil homme qui s’était muré dans le silence, après le décès de sa compagne, quelques mois plus tôt. René Baschet devait décéder le 7 août 1949.
France Illustration, qui s’était installé dans les meubles de la défunte Illustration dès 1945, n’hésita pas à lui rendre hommage. Dans son numéro 201, daté du 20 août 1949, on pouvait lire : « C’est une grande figure de l’édition qui disparaît avec René Baschet (…). Sous son impulsion, la revue prit un nouvel essor. Les tirages hebdomadaires s’accrurent rapidement. Leurs chiffres montrent assez bien que la revue plaisait au public (…). Mais plus qu’aux articles publiés, c’est peut être à leur présentation, à la perfection technique de la reproduction des photographies que l’Illustration dut sa notoriété, et là encore le mérite en revint à René Baschet (…). La valeur artistique de L’Illustration, véritable œuvre d’art, était universellement reconnue ». Bel hommage, non signé, de la part d’un magazine fece auquel les Baschet bataillaient ferme depuis quatre ans pour tenter de recouvrer leurs biens. Le même article évoque « sa grande bonté, jointe à une simplicité proverbiale » en ajoutant que « sa réputation de grand honnête homme, son affabilité, son désir aussi de rendre service à quiconque le sollicitait l’amenèrent à présider bon nombre d’associations syndicales professionnelles ». Sur le maintien de la publication pendant l’Occupation, France Illustration prend même, paradoxalement, des accents d’avocat de la défense : « Animateur d’un journal presque centenaire, qui à travers toutes les vicissitudes traversées par la France depuis 1843 n’avait jamais cessé de paraître, il crut de son devoir d’en poursuivre la publication en 1940 et il fut atteint, à la libération, par les mesures qui suspendirent tous les journaux parus sous l’Occupation ». Et l’auteur de l’article d’ajouter que « cruellement éprouvé par cette décision qui interrompait l’œuvre à laquelle il avait consacré sa vie, René Baschet, jusque là remarquable d’activité, déclina rapidement ». Quant à l’entreprise, malgré les réquisitions du Ministère public qui avait demandé son acquittement, elle fut condamnée à la dissolution en décembre 1949. Ce n’est qu’en 1954 qu’elle fut relevée de toutes les peines prononcées à son encontre, prélude à la restitution progressive des biens à ses anciens propriétaires.
Ses études secondaires (Lycées Condorcet et Rollin) et supérieures (faculté de Droit) achevées, René Baschet épaule son père dans la gestion de la Librairie d’art. Il participe à la publication d’albums artistiques sur les Salons de peinture et les musées. Dès 1883, il dirige Paris Illustré puis, en 1885 La Revue Illustrée. Celle-ci ouvre régulièrement ses pages à de grandes plumes telles que Guy de Maupassant, Emile Zola, Maurice Barrès, ou encore Francisque Sarcey et Anatole France. Cette revue, publiée jusqu'en 1912, est aujourd'hui très recherchée, à la fois pour sa rareté et pour la qualité de ses illustrations, dont certaines déjà en couleur, annoncent les perfectionnements techniques que René Baschet imposera à L'Illustration.
Entre temps, René Baschet a épousé le 21 juin 1887 Marguerite Guillemeteau (1868-1948). De cette union, naîtront trois fils : Louis Baschet (11 mars 1889- 25 juin 1972), Jean Baschet (12 novembre 1890 - 22 janvier 1963) et René-Pierre (17 avril 1896- 25 septembre 1917). A chaque fin de semaine, toute la famille se retrouve à Gagny où les Baschet ont aménagé plusieurs maisons dans un Parc. En 1895, René Baschet lance une nouvelle publication, Le Panorama, qui associe les faits d’actualité et l’image, à la différence de la Revue Illustrée qui se cantonnait davantage dans les comptes-rendus artistiques, expositions et salons. Il est aussi administrateur des Annales politiques et littéraires, en compagnie d'Adolphe Brisson. A l'aube du XXe siècle, René Baschet est donc déjà solidement implanté dans la presse illustrée de qualité.
En 1904, b[René Baschet se porte candidat à la direction de L’Illustration]b. En quelques mois, l’hebdomadaire, qui connaît quelques difficultés et dont la diffusion stagne, a vu disparaître en un an deux directeurs : Lucien Marc et Victor-Alfred Depaëpe. Le 4 mars 1904, les actionnaires de L’Illustration doivent donc à nouveau choisir leur directeur parmi 25 candidats venus d'horizon divers. Jules Clarétie est ainsi sur les rangs. C’est finalement René Baschet qui l’emporte. Il a alors 44 ans : « Quittant la Revue illustrée, il va se consacrer avec ardeur à sa nouvelle tâche et il trouvera dans cette grande maison qu’est déjà l’Illustration le terrain favorable où il se prodiguera sans compter et multipliera les initiatives les plus heureuses et les plus fécondes. Sous l’impulsion du nouveau directeur qui a le sens exact des besoins et des désirs du public, ainsi que le goût de la belle gravure, de l’impression et de la présentation impeccable, L’illustration va en quelques années augmenter considérablement son tirage (qui) progressera régulièrement de 10.000 exemplaire par an, pour atteindre 140.000 exemplaires à la veille de la Première Guerre mondiale ».
En arrivant rue Saint-Georges, René Baschet trouve une équipe dont plusieurs membres vont accompagner pendant plusieurs décennies le développement de L’Illustration : Maurice Normand, entré au journal en 1894 et rédacteur en chef jusqu’en 1923. C'est lui qui introduira son gendre, Robert de Beauplan. Gaston Sorbets, rédacteur depuis 1902 puis rédacteur en chef de 1923 à 1944. Lui aussi fera entrer son fils, Jacques Sorbets à la rédaction. Tout comme Ernest Clair-Guyot, photographe à L'Illustration pendant un demi-siècle et qui passera le témoin à son fils Jean Clair-Guyot, reporter et photographe entre le début des années 1920 et 1944.Quant à André Chatenet, directeur de l’imprimerie, il aura à assumer jusqu'à sa mort en 1924, la responsabilité de la fabrication, entre une imprimerie de plus en plus saturée face à un tirage qui s’envole. L'imprimerie de Saint-Mandé, ouverte en 1919 afin de soulager celle de la rue Saint-Georges, va très vite révéler ses limites de développement. En même temps, René Baschet s’adjoint les services de plusieurs membres de sa famille : Louis Baschet (1889-1972), son fils aîné, entre au journal dès 1908, en charge de l’organisation de la Caisse des retraites et du personnel. En 1922, il est nommé secrétaire général de L’Illustration avant d’en devenir le co-directeur. Un autre de ses fils, Jean Baschet (1890-1963), assumera dans les années 1920, l’administration de la caisse sociale de l’entreprise et occupera les fonctions d’administrateur général. Enfin, Pierre Baschet, le fils cadet, né en 1896, élève à l’Ecole nationale supérieure des beaux arts, aura à peine le temps de faire ses premières armes à L’Illustration, avant de disparaître au combat, le 25 septembre 1917, tué par un éclat d’obus. Quant à Jacques Baschet (1872-1952), frère de René Baschet, historien d’art et administrateur du Mobilier national, il s’installe lui aussi rue Saint-Georges et devient directeur des services artistiques de L’Illustration et critique d’art. C’est lui qui rédigera chaque année les comptes rendus des expositions et salons de peinture, pour le numéro de printemps. C’est également lui qui va superviser la réalisation des fameux numéros de Noël et, plus généralement des nombreux numéros spéciaux. Excellents vecteurs de publicité, ils vont se multiplier. Dans les années 1930, son propre fils, Roger Baschet, né en 1902, se fera peu à peu un nom dans les colonnes de l’hebdomadaire, entre critique artistique et articles de variété, tout en devenant adjoint aux services artistiques. Enfin, bien qu’il ne fasse pas partie du personnel de L’Illustration, on ne peut passer sous silence l’autre frère de René Baschet, le peintre Marcel Baschet. Grand prix de Rome, il est devenu l’un des grands portraitistes de la IIIe République et L’Illustration ne manquera pas de reproduire quelques-uns de ses portraits, que ce soit les gloires militaires de la Grande guerre ou les responsables politiques. Il n’est pas rare que le numéro du Salon de peinture fasse référence à ses œuvres, sous la plume de son frère, Jacques Baschet.
A la veille de la grande Guerre, René Baschet est donc parvenu à b[porter la diffusion de L’Illustration au delà des 100.000 exemplaires]b. De 48.750 exemplaires diffusés en 1903 (dont 38.000 abonnés), la revue affiche en 1913 une diffusion de 131.266 exemplaires (dont 113.057 abonnés). Certains numéros connaîtront plusieurs tirages totalisant jusqu’à 600.000 exemplaires. Malgré un retour à des chiffres plus sages, le problème de la capacité de production de l’imprimerie se pose de plus en plus, ce qui le pousse à faire construire une imprimerie annexe à Saint-Mandé en 1919. Une solution provisoire et pas entièrement satisfaisante puisque la fabrication nécessite des va et vient entre la rue Saint-Georges et Saint-Mandé. C’est ce qui conduira à la fin des années 20 à l’étude puis à la réalisation d’une nouvelle imprimerie, sur un site unique, en banlieue parisienne. Ce sera Bobigny dont le projet mis à l’étude dès 1928-1929 est confié à Louis Baschet. Inaugurée le 30 juin 1933, l’imprimerie était opérationnelle depuis le mois de février. Elle est l’œuvre maîtresse des Baschet, père et fils.
Dans cette période de l’entre deux guerres, l’empire Baschet s’est aussi étoffé : aux anciennes publications comme La Petite illustration, s’ajoutent de nouvelles comme L’Illustration économique et financière (1919-1930), L’Illustration des Modes qui n’aura qu’une existence éphémère entre octobre 1920 et juin 1922, et Plaisirs de France qui paraîtra entre 1934 et 1943, avant de renaître après guerre. C’est aussi le moment où les Baschet Père et fils créent les éditions de L’Illustration, dans la lignée du succès de l’Album de guerre. L’entreprise développe enfin ses propres papeteries (Lux à Furès dans l’Isère et les papeteries de Savoie, à La Serraz). L’essentiel de leur production alimente les presses de Bobigny. Il faut dire que le nombre de pages imprimées, sans compter les publicités et les numéros spéciaux, n’a cessé de croître : de 1.158 pages de rédaction en 1913, on est passé à 1.276 en 1924, à 1.504 en 1928 et à 1.634 en 1929. C’est ce qui explique que l’on ait profité du changement de formule et de format, en 1930, pour faire relier L’Illustration, non plus par semestre, comme c’était le cas depuis l’origine, mais par quadrimestre. De quoi rendre les volumes moins lourds et plus maniables.
C’est alors pour René Baschet le temps des honneurs : commandeur de la Légion d’honneur en 1928, il accueillera à Bobigny des personnalités de tous ordres venus découvrir ce qui passe pour la plus moderne des imprimeries, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde. Ses pairs le portent à la présidence du Syndicat de la presse parisienne et la Fédération nationale des journaux français en fait son vice-président. L’Institut lui ouvre ses portes, dans la section des Beaux arts en 1935, au fauteuil de Justin de Selves. Fait exceptionnel, il rejoint son frère, le peintre Marcel Baschet, qui y siège déjà depuis 1913. Au fait de sa gloire dans les années qui précèdent la seconde guerre mondiale, René Baschet n’en reste pas moins conscient des difficultés économiques et financières qui mettent en danger l’entreprise, ainsi que Jean-Noël Marchandiau l’a démontré.
La crise économique n’explique toutefois pas à elle seule la diffusion en baisse, les déficits successifs ou la publicité en perte de vitesse.La formule a vieilli, malgré les tentatives de rajeunissement de la mise en page qui se sont succédé à partir de 1930. Il aura ainsi fallu attendre la 87ème année de parution pour que la magazine troque son immuable livrée, avec les outils du graveurs au centre, pour ouvrir une fenêtre photographique. Dans la seule décennie 1930-1940, la couverture sera modifiée trois fois, ainsi que la mise en page. En janvier 1930, dans le numéro qui inaugure la nouvelle présentation, avec un format légèrement réduit, L’Illustration s’enorgueillit d’être diffusée dans 126 pays différents, dont 15 reçoivent chaque semaine plus de 1.000 exemplaires. Quant à la diffusion elle se répartit alors entre la France métropolitaine (135.000 exemplaires), les colonies (10.000) et les pays étrangers (55.000), ce qui laisse entrevoir un tirage alors à 200.000 exemplaires.
Après l’exode et l’Armistice de juin 1940, René Baschet opte pour b[la reparution de L’Illustration à Paris]b, ce qui permettra de récupérer à la fois le siège du journal et l’imprimerie de Bobigny : "Fallait-il, écrira-t-il, laisser l’ennemi dans la place, lui offrant ainsi l’occasion de l’utiliser librement pour les fins de sa propagande ou, au contraire, venir la lui disputer, en tentant l’impossible pour minimiser son emprise ? C’est cette dernière voie qui fut choisie. Elle se révéla ingrate et douloureuse". Sans revenir sur les démêlés avec Jacques de Lesdain et l’équipe imposée par l’ambassade d’Allemagne, on peut rappeler les propos du Comte Doriat, dans l’hommage rendu par l’Institut à René Baschet en 1958 : « Pendant quatre longues années, soutenu par une équipe fidèle, René Baschet luttera avec opiniâtreté et courage contre les exigences et l’emprise des allemands et il pourra ainsi, à la libération, apporter la preuve que les services importants et multiples rendus par lui à son personnel, aux victimes de l’ennemi et aux organisations de résistance et de lutte contre l’Occupant, n’avaient été possibles que par le maintien de l’activité de l’entreprise, sous son couvert et avec ses ressources ». Une ligne de défense que partagera avec lui son fils, Louis Baschet, alors codirecteur. On ne manquera pas de reprocher à René Baschet d’avoir assumé la présidence d’honneur du Groupement corporatif de la Presse périodique générale dans la cadre de la Corporation nationale de la Presse présidée par l’encombrant directeur des Nouveaux temps, le "fonds - secrétier" Jean Luchaire, condamné à mort et fusillé le 22 février 1946. Tout comme on ressortira cette photo d’un banal banquet corporatif où l’on entrevoit René Baschet aux côtés de Jean Luchaire .
Paris libéré, b[les espoirs de poursuivre la publication de L’Illustration s’effondrent ]b très vite. En septembre 1944, la société éditrice, Baschet et Cie est suspendue et tous ses biens mis sous séquestre des domaines. En décembre, une information est ouverte contre René et Louis Baschet pour "atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat". Il faudra trois ans de combats juridiques avant que la justice ne rende en 1948 un non lieu au profit des deux hommes, reconnaissant ainsi leur innocence : "Un an avant sa mort, René Baschet qui ne parvenait pas à comprendre l’injuste sort qui lui était fait, eut enfin la suprême satisfaction de voir reconnaître son innocence par la justice de son pays en des termes qui prouvaient qu’il n’avait, à aucun moment des heures dramatiques de l’Occupation failli à sa tâche". La décision venait pourtant trop tard pour le vieil homme qui s’était muré dans le silence, après le décès de sa compagne, quelques mois plus tôt. René Baschet devait décéder le 7 août 1949.
France Illustration, qui s’était installé dans les meubles de la défunte Illustration dès 1945, n’hésita pas à lui rendre hommage. Dans son numéro 201, daté du 20 août 1949, on pouvait lire : « C’est une grande figure de l’édition qui disparaît avec René Baschet (…). Sous son impulsion, la revue prit un nouvel essor. Les tirages hebdomadaires s’accrurent rapidement. Leurs chiffres montrent assez bien que la revue plaisait au public (…). Mais plus qu’aux articles publiés, c’est peut être à leur présentation, à la perfection technique de la reproduction des photographies que l’Illustration dut sa notoriété, et là encore le mérite en revint à René Baschet (…). La valeur artistique de L’Illustration, véritable œuvre d’art, était universellement reconnue ». Bel hommage, non signé, de la part d’un magazine fece auquel les Baschet bataillaient ferme depuis quatre ans pour tenter de recouvrer leurs biens. Le même article évoque « sa grande bonté, jointe à une simplicité proverbiale » en ajoutant que « sa réputation de grand honnête homme, son affabilité, son désir aussi de rendre service à quiconque le sollicitait l’amenèrent à présider bon nombre d’associations syndicales professionnelles ». Sur le maintien de la publication pendant l’Occupation, France Illustration prend même, paradoxalement, des accents d’avocat de la défense : « Animateur d’un journal presque centenaire, qui à travers toutes les vicissitudes traversées par la France depuis 1843 n’avait jamais cessé de paraître, il crut de son devoir d’en poursuivre la publication en 1940 et il fut atteint, à la libération, par les mesures qui suspendirent tous les journaux parus sous l’Occupation ». Et l’auteur de l’article d’ajouter que « cruellement éprouvé par cette décision qui interrompait l’œuvre à laquelle il avait consacré sa vie, René Baschet, jusque là remarquable d’activité, déclina rapidement ». Quant à l’entreprise, malgré les réquisitions du Ministère public qui avait demandé son acquittement, elle fut condamnée à la dissolution en décembre 1949. Ce n’est qu’en 1954 qu’elle fut relevée de toutes les peines prononcées à son encontre, prélude à la restitution progressive des biens à ses anciens propriétaires.
LOUIS BASCHET (1889-1972) Codirecteur de L'Illustration (1924-1944), Président de Baschet et Cie (1949-1972)
Après René Baschet, Louis Baschet, son fils aîné est le dernier à avoir dirigé, ou plutôt codirigé L'Illustration. Mais sa carrière professionnelle ne s'étant pas arrêtée avec la disparition de L'Illustration en août 1944, on trouvera également des informations sur sa carrière d'éditeur de livres d'art, en même temps que sur les batailles juridiques qu'il a dû mener pour que justice soit rendue à la société Baschet et Cie.
Né le 11 mars 1889, Louis Baschet est le fils aîné de René Baschet. Après avoir été élève aux lycées Montaigne et Louis-le-Grand, il séjourne pendant un an à Londres, au Daily Mirror, afin de s’initier aux techniques de l’édition illustrée. De retour en France, il entre à L’Illustration en 1908. René Baschet lui fait découvrir tous les services de l’hebdomadaire, tout en commençant à l’associer à la réalisation des numéros spéciaux. Il est aussi envoyé aux Etats-Unis pour une mission d’étude qui débouchera sur l’achat de matériels modernes d’impression, avant la Grande Guerre. En 1911, il devient secrétaire de la direction. Mobilisé en 1914, il est fait prisonnier tout comme son frère, Jean Baschet, au cours d’un engagement à Cutry, en Meurthe-et-Moselle, dès le 22 août. Au cours de ces quatre années passées au camp de Ratisbonne, en Bavière, il aura pour compagnon de captivité René Lefébure, architecte et dessinateur, futur chef de l’atelier de dessin de L’Illustration et concepteur avec Louis Baschet de l’imprimerie de Bobigny. Quant à Jean Baschet, son frère, il sera libéré en 1917 en qualité d’infirmier. Après avoir pu regagner la France, en passant par la Suisse, il décidera de s’engager sur le front de Russie. Cette même année, leur frère cadet, René-Pierre, tout jeune artilleur, trouvera la mort, le 22 septembre, sur le front de Champagne, au Mont-Sans-Nom.
Nommé b[secrétaire général de L’Illustration ]bau retour de la paix, Louis Baschet s’occupe en priorité des services intérieurs, de la vente et de la publicité. Le 21 juin 1919, à Gagny, il épouse Marguerite Warrain. De cette union naîtront quatre enfants : Denis Baschet (1920), Christiane Baschet (1921), Francine Baschet (1922) et, enfin, Eliane Baschet (1928). Cette dernière épousera Roger Allégret avec lequel elle continuera dans la voie de l’édition, jusqu’à la fin des années 1990. En 1924, René Baschet, suite à de graves problèmes de santé, convainc les administrateurs d’associer officiellement son fils à la direction. Louis Baschet fait désormais figure de successeur désigné. L’Album de la guerre, b[la naissance des éditions de L’Illustration]b, l’essor des papeteries qui alimentent le magazine sont à mettre à son actif. Avec celui de René Baschet, son nom est éminemment associé à la formidable croissance de la diffusion, de la publicité et du chiffre d’affaires de L’Illustration jusqu’au début des années 1930. L’hebdomadaire peut alors se glorifier d’une diffusion quasiment planétaire, avec des numéros « lus, conservés et collectionnés dans le monde entier ». Dans une plaquette de promotion publiée en 1925, on évoque le nombre de 112 pays : « La publicité confiée à L’Illustration touche un public innombrable dans les cinq parties du monde ».
Louis Baschet est évidemment lié à la conception et à la réalisation de l’imprimerie de Bobigny, aux côtés de René Lefébure, architecte et chef des services de dessin, de l’ingénieur Henry Hischmann, auquel il est apparenté et de son adjoint, Henri Tannière : « Ils ont été véritablement le cerveau d’où est sortie dans son armature d’acier et de béton, son ordonnance rationnelle et harmonieuse, son équipement et son outillage perfectionnés, l’usine de Bobigny », écrira Robert de Beauplan, dans le numéro spécial publié lors de l’inauguration du site. Outre l’imprimerie initiale qui avait connu plusieurs extensions entre les rues Saint-Georges, de Provence et de la Victoire, une vingtaine de presses avaient été installées en 1919 à Saint-Mandé sur un site de 7.500 m2. Avec les agrandissements successifs, pour faire face à la croissance des tirages, Saint-Mandé était arrivé à saturation. Louis Baschet défendit l’idée d’une nouvelle imprimerie, avec suffisamment d’espace pour faire face aux extensions à venir, le tout permettant de réunir en un lieu unique les différentes phases de la fabrication, sans être trop éloigné du siège. Auparavant, il aura fallu plusieurs voyages d’études à l’étranger (Aux Etats-Unis, au Royaume uni ou en Allemagne) pour débusquer les nouvelles machines et apporter davantage de rationalisation dans la fabrication. Le résultat, ce sera Bobigny dont l’histoire a été contée en détail dans le numéro spécial du 1er juillet 1933. Pour construire les 14.500 m2 de bâtiments et la tour de 64 m, il aura fallu moins de deux ans. Un exploit pour l’époque, si on y ajoute les nombreuses difficultés créées par un terrain glaiseux, gorgé d’eau. A cet exploit s’en ajoute un autre : celui du démontage et du transfert des machines de Saint-Mandé et de la rue Saint-Georges vers Bobigny, en même temps que l’on y assemblait de toutes nouvelles machines. Le tout sans interrompre la parution. En 1933, année de l’inauguration, Louis Baschet, secrétaire général de L'Illustration, devient officiellement co-directeur, un poste qu’il occupera jusqu’en août 1944.
Sur les conditions de parution de L’Illustration pendant l’Occupation et sur les tensions, voire les affrontements récurrents entre les Baschet et le rédacteur politique, Jacques de Lesdain, imposé par l’ambassade d’Allemagne, on pourra se reporter à la biographie de Jacques de Lesdain. Pendant quelque temps, à la Libération, les Baschet veulent encore croire que L’Illustration pourra reparaître. Les services d’abonnement, interrogés par les lecteurs désorientés, cherchent à temporiser : « La reprise de notre publication demandera encore un certain temps » écrit dans une lettre circulaire le chef du service des abonnements, en date du 29 septembre 1944, en précisant: « Vous n’ignorez pas les mesures qui concernent les journaux publiés sous l’Occupation allemande. Aucun de ceux-ci ne peut reparaître avant qu’une enquête n’ait statué sur son rôle pendant cette période. L’Illustration (…) a toujours observé la ligne de conduite que lui inspiraient son intégrité et son patriotisme. Son attitude ne peut être confondue avec celle de nombreux journaux qui se sont prêtés avec complaisance aux suggestions des services allemands de propagande ». Il n’empêche que, dès la libération, la société éditrice de L’Illustration a été pourvue d’office d’un administrateur provisoire.
Poursuivi, le 1er décembre 1944, en même temps que son père pour « atteinte à la sûreté de l’Etat», au motif d’avoir maintenu la publication de L’Illustration sous l’Occupation, Louis Baschet bénéficiera avec ce dernier d’un non lieu rendu le 22 juillet 1948. Quant à la société éditrice une information judiciaire est ouverte contre elle, le 22 octobre 1945. Le 18 juillet 1949, trois semaines avant la disparition de René Baschet et au terme de près de quatre ans d’instruction, elle fait l’objet d’une ordonnance de renvoi devant la cour de justice de la Seine. Le 6 décembre 1949, à la différence de ses dirigeants, l’entreprise avec tous les biens qui lui appartiennent (immeubles, imprimerie…) et qui avaient été mis sous séquestre des domaines, se retrouve condamnée par la cour de justice de la Seine à la dissolution et à la confiscation du dixième de son patrimoine. Pendant plusieurs années, Louis Baschet va batailler ferme sur le terrain juridique pour faire reconnaître ses droits, ceux de l’entreprise, et de ses actionnaires. Les conditions mêmes dans lesquelles le jugement a été prononcé peuvent surprendre : « Comment peut-on juger qu’une société dont les représentants légaux ont été mis hors de cause et dont par ailleurs aucun des membres n’a même été poursuivi, puisse encourir une responsabilité quelconque ? A moins que l’on admette que ces biens eux-mêmes, c’est à dire des objets inanimés, bâtiments ou machines, puissent avoir une intention coupable et encourir une responsabilité pénale, il est clair que la confiscation des biens ne peut intervenir qu’en conséquence de la responsabilité personnelle encourue par l’une ou l’autre des personnes composant la société ».
Cette thèse soutenue par le juriste Henri Donnedieu de Vabre et reprise par le commissaire du gouvernement, déclarant les poursuites irrecevables, ne fut cependant pas suivie par le tribunal. Les termes du réquisitoire étaient pourtant sans équivoque : Les Baschet « pouvaient penser, d’une part éviter par leur présence une complète mainmise allemande que leur départ aurait rendu inévitable et, d’autre part, bénéficier d’une autorité suffisante pour diminuer dans une mesure appréciable l’action antinationale que l’on voulait imposer à leur publication ». Plus loin, le ministère public ajoute que « l’on ne saurait omettre la constante opposition faite par Louis Baschet à De Lesdain pendant les quatre années d’occupation, la lutte de tous les instants (…) avec le souci réel de contrecarrer les desseins de l’ennemi. On ne saurait enfin passer sous silence que (…) les ouvriers et employés de la maison sont venus, dans leur quasi totalité, attester de l’excellence de ses sentiments français ». Enfin, à propos des mises en garde publiée par l’hebdomadaire pour rappeler que « M. J. de Lesdain exprime, comme chaque semaine, dans cette page des idées personnelles dont il endosse la responsabilité entière », le commissaire du gouvernement notait que « c’est un acte qui présentait non pas un certain courage mais un courage certain. MM. Baschet acceptaient un gros risque. Ils auraient pu être déportés. C’était un acte d’hostilité aux yeux des Allemands ». Et de réclamer, au nom de « l’identité absolue entre la société et ceux qui la dirigent », un acquittement pur et simple.
Le jugement aurait dû être rendu le 5 décembre 1949, mais « en raison de l’heure tardive et de la nécessité de procéder à des recherches plus approfondies, l’arrêt était renvoyé, ainsi que la suite des débats au 6 décembre à 13h15 ». Un délai mis à profit par Albert Bayet, président de la fédération nationale de la presse française, pour faire distribuer aux jurés une brochure intitulée L’Illustration sous l’Occupation allemande. Il s’agissait d’un montage de différents documents qui se voulaient accablants pour l’hebdomadaire. En même temps, elle sera reprise dans nombre de journaux. Conséquence immédiate : au lieu de l’acquittement attendu et réclamé, on passe à un verdict de culpabilité, mais accompagné de circonstances atténuantes. C’est assez pour que la dissolution soit prononcée.
Pour assurer la survie de Baschet et Cie, Louis Baschet va se battre pied à pied sur le terrain juridique pendant plusieurs années. Une première victoire se profile en 1952 : un arrêté du 14 janvier limite la confiscation aux seuls biens qui ont servi directement à la parution de L’Illustration. Plusieurs immeubles peuvent ainsi être restitués. Mais c’est le 18 juin 1954 que la société pourra recouvrer la totalité de ses biens, à la suite du décret de grâce présidentielle qui la relève de toute condamnation. Il faudra encore deux ans pour que cette restitution aboutisse théoriquement, y compris celle de l’imprimerie de Bobigny. Pratiquement, les prétentions de la SNEP qui exigeait une importante indemnité pour « les améliorations apportées » retarderont encore de deux ans la prise d’effet. En réalité, comme le notera Roger Baschet, « la SNEP ne s’apprêtait à rendre que des immeubles non entretenus, ainsi que des machines usées et démodées. L’escroquerie continuait ». Après le règlement à l’amiable du différend, en 1958, l’imprimerie sera gérée jusqu’en 1969 par Denis Baschet, fils de Louis Baschet, avant de fermer définitivement en décembre 1971.
Jusqu’à son décès, le 25 juin 1972, Louis Baschet présidera aux destinées de Baschet et Cie dont l’activité principale est désormais tournée vers l’édition de livres d’art, diffusés en librairies et par un réseau qui a compté jusqu’à une centaine de courtiers, avec les Editions de l’Illustration et les Nouvelles éditions françaises. A propos de son cousin, Roger Baschet écrit : « En 1956, Louis reprenait possession des bureaux de la rue Saint-Georges et du fauteuil qui avait été celui de son père. De son appartement, quai Anatole-France, il refaisait deux fois par jour le trajet de son bureau. Mais en conservant les habitudes du début de la guerre, c'est-à-dire à bicyclette. Et jusqu’à sa dernière année, en dépit de ses mauvais yeux et des objurgations de ses enfants, on le vit pédaler par tous les temps, ses pantalons remontés par des pinces, silhouette devenue légendaire ».
Progressivement, le flambeau passe aux mains de la génération suivante : Denis Baschet (né le 20 mai 1920) puis Eliane Allégret-Baschet (1928-2010). Cette dernière, avec son mari Roger Allégret (1922-2006), va assurer la direction des Nouvelles Editions françaises – Editions de L’Illustration fusionnées en 1989 jusqu’à leur disparition définitive en 1999.
Né le 11 mars 1889, Louis Baschet est le fils aîné de René Baschet. Après avoir été élève aux lycées Montaigne et Louis-le-Grand, il séjourne pendant un an à Londres, au Daily Mirror, afin de s’initier aux techniques de l’édition illustrée. De retour en France, il entre à L’Illustration en 1908. René Baschet lui fait découvrir tous les services de l’hebdomadaire, tout en commençant à l’associer à la réalisation des numéros spéciaux. Il est aussi envoyé aux Etats-Unis pour une mission d’étude qui débouchera sur l’achat de matériels modernes d’impression, avant la Grande Guerre. En 1911, il devient secrétaire de la direction. Mobilisé en 1914, il est fait prisonnier tout comme son frère, Jean Baschet, au cours d’un engagement à Cutry, en Meurthe-et-Moselle, dès le 22 août. Au cours de ces quatre années passées au camp de Ratisbonne, en Bavière, il aura pour compagnon de captivité René Lefébure, architecte et dessinateur, futur chef de l’atelier de dessin de L’Illustration et concepteur avec Louis Baschet de l’imprimerie de Bobigny. Quant à Jean Baschet, son frère, il sera libéré en 1917 en qualité d’infirmier. Après avoir pu regagner la France, en passant par la Suisse, il décidera de s’engager sur le front de Russie. Cette même année, leur frère cadet, René-Pierre, tout jeune artilleur, trouvera la mort, le 22 septembre, sur le front de Champagne, au Mont-Sans-Nom.
Nommé b[secrétaire général de L’Illustration ]bau retour de la paix, Louis Baschet s’occupe en priorité des services intérieurs, de la vente et de la publicité. Le 21 juin 1919, à Gagny, il épouse Marguerite Warrain. De cette union naîtront quatre enfants : Denis Baschet (1920), Christiane Baschet (1921), Francine Baschet (1922) et, enfin, Eliane Baschet (1928). Cette dernière épousera Roger Allégret avec lequel elle continuera dans la voie de l’édition, jusqu’à la fin des années 1990. En 1924, René Baschet, suite à de graves problèmes de santé, convainc les administrateurs d’associer officiellement son fils à la direction. Louis Baschet fait désormais figure de successeur désigné. L’Album de la guerre, b[la naissance des éditions de L’Illustration]b, l’essor des papeteries qui alimentent le magazine sont à mettre à son actif. Avec celui de René Baschet, son nom est éminemment associé à la formidable croissance de la diffusion, de la publicité et du chiffre d’affaires de L’Illustration jusqu’au début des années 1930. L’hebdomadaire peut alors se glorifier d’une diffusion quasiment planétaire, avec des numéros « lus, conservés et collectionnés dans le monde entier ». Dans une plaquette de promotion publiée en 1925, on évoque le nombre de 112 pays : « La publicité confiée à L’Illustration touche un public innombrable dans les cinq parties du monde ».
Louis Baschet est évidemment lié à la conception et à la réalisation de l’imprimerie de Bobigny, aux côtés de René Lefébure, architecte et chef des services de dessin, de l’ingénieur Henry Hischmann, auquel il est apparenté et de son adjoint, Henri Tannière : « Ils ont été véritablement le cerveau d’où est sortie dans son armature d’acier et de béton, son ordonnance rationnelle et harmonieuse, son équipement et son outillage perfectionnés, l’usine de Bobigny », écrira Robert de Beauplan, dans le numéro spécial publié lors de l’inauguration du site. Outre l’imprimerie initiale qui avait connu plusieurs extensions entre les rues Saint-Georges, de Provence et de la Victoire, une vingtaine de presses avaient été installées en 1919 à Saint-Mandé sur un site de 7.500 m2. Avec les agrandissements successifs, pour faire face à la croissance des tirages, Saint-Mandé était arrivé à saturation. Louis Baschet défendit l’idée d’une nouvelle imprimerie, avec suffisamment d’espace pour faire face aux extensions à venir, le tout permettant de réunir en un lieu unique les différentes phases de la fabrication, sans être trop éloigné du siège. Auparavant, il aura fallu plusieurs voyages d’études à l’étranger (Aux Etats-Unis, au Royaume uni ou en Allemagne) pour débusquer les nouvelles machines et apporter davantage de rationalisation dans la fabrication. Le résultat, ce sera Bobigny dont l’histoire a été contée en détail dans le numéro spécial du 1er juillet 1933. Pour construire les 14.500 m2 de bâtiments et la tour de 64 m, il aura fallu moins de deux ans. Un exploit pour l’époque, si on y ajoute les nombreuses difficultés créées par un terrain glaiseux, gorgé d’eau. A cet exploit s’en ajoute un autre : celui du démontage et du transfert des machines de Saint-Mandé et de la rue Saint-Georges vers Bobigny, en même temps que l’on y assemblait de toutes nouvelles machines. Le tout sans interrompre la parution. En 1933, année de l’inauguration, Louis Baschet, secrétaire général de L'Illustration, devient officiellement co-directeur, un poste qu’il occupera jusqu’en août 1944.
Sur les conditions de parution de L’Illustration pendant l’Occupation et sur les tensions, voire les affrontements récurrents entre les Baschet et le rédacteur politique, Jacques de Lesdain, imposé par l’ambassade d’Allemagne, on pourra se reporter à la biographie de Jacques de Lesdain. Pendant quelque temps, à la Libération, les Baschet veulent encore croire que L’Illustration pourra reparaître. Les services d’abonnement, interrogés par les lecteurs désorientés, cherchent à temporiser : « La reprise de notre publication demandera encore un certain temps » écrit dans une lettre circulaire le chef du service des abonnements, en date du 29 septembre 1944, en précisant: « Vous n’ignorez pas les mesures qui concernent les journaux publiés sous l’Occupation allemande. Aucun de ceux-ci ne peut reparaître avant qu’une enquête n’ait statué sur son rôle pendant cette période. L’Illustration (…) a toujours observé la ligne de conduite que lui inspiraient son intégrité et son patriotisme. Son attitude ne peut être confondue avec celle de nombreux journaux qui se sont prêtés avec complaisance aux suggestions des services allemands de propagande ». Il n’empêche que, dès la libération, la société éditrice de L’Illustration a été pourvue d’office d’un administrateur provisoire.
Poursuivi, le 1er décembre 1944, en même temps que son père pour « atteinte à la sûreté de l’Etat», au motif d’avoir maintenu la publication de L’Illustration sous l’Occupation, Louis Baschet bénéficiera avec ce dernier d’un non lieu rendu le 22 juillet 1948. Quant à la société éditrice une information judiciaire est ouverte contre elle, le 22 octobre 1945. Le 18 juillet 1949, trois semaines avant la disparition de René Baschet et au terme de près de quatre ans d’instruction, elle fait l’objet d’une ordonnance de renvoi devant la cour de justice de la Seine. Le 6 décembre 1949, à la différence de ses dirigeants, l’entreprise avec tous les biens qui lui appartiennent (immeubles, imprimerie…) et qui avaient été mis sous séquestre des domaines, se retrouve condamnée par la cour de justice de la Seine à la dissolution et à la confiscation du dixième de son patrimoine. Pendant plusieurs années, Louis Baschet va batailler ferme sur le terrain juridique pour faire reconnaître ses droits, ceux de l’entreprise, et de ses actionnaires. Les conditions mêmes dans lesquelles le jugement a été prononcé peuvent surprendre : « Comment peut-on juger qu’une société dont les représentants légaux ont été mis hors de cause et dont par ailleurs aucun des membres n’a même été poursuivi, puisse encourir une responsabilité quelconque ? A moins que l’on admette que ces biens eux-mêmes, c’est à dire des objets inanimés, bâtiments ou machines, puissent avoir une intention coupable et encourir une responsabilité pénale, il est clair que la confiscation des biens ne peut intervenir qu’en conséquence de la responsabilité personnelle encourue par l’une ou l’autre des personnes composant la société ».
Cette thèse soutenue par le juriste Henri Donnedieu de Vabre et reprise par le commissaire du gouvernement, déclarant les poursuites irrecevables, ne fut cependant pas suivie par le tribunal. Les termes du réquisitoire étaient pourtant sans équivoque : Les Baschet « pouvaient penser, d’une part éviter par leur présence une complète mainmise allemande que leur départ aurait rendu inévitable et, d’autre part, bénéficier d’une autorité suffisante pour diminuer dans une mesure appréciable l’action antinationale que l’on voulait imposer à leur publication ». Plus loin, le ministère public ajoute que « l’on ne saurait omettre la constante opposition faite par Louis Baschet à De Lesdain pendant les quatre années d’occupation, la lutte de tous les instants (…) avec le souci réel de contrecarrer les desseins de l’ennemi. On ne saurait enfin passer sous silence que (…) les ouvriers et employés de la maison sont venus, dans leur quasi totalité, attester de l’excellence de ses sentiments français ». Enfin, à propos des mises en garde publiée par l’hebdomadaire pour rappeler que « M. J. de Lesdain exprime, comme chaque semaine, dans cette page des idées personnelles dont il endosse la responsabilité entière », le commissaire du gouvernement notait que « c’est un acte qui présentait non pas un certain courage mais un courage certain. MM. Baschet acceptaient un gros risque. Ils auraient pu être déportés. C’était un acte d’hostilité aux yeux des Allemands ». Et de réclamer, au nom de « l’identité absolue entre la société et ceux qui la dirigent », un acquittement pur et simple.
Le jugement aurait dû être rendu le 5 décembre 1949, mais « en raison de l’heure tardive et de la nécessité de procéder à des recherches plus approfondies, l’arrêt était renvoyé, ainsi que la suite des débats au 6 décembre à 13h15 ». Un délai mis à profit par Albert Bayet, président de la fédération nationale de la presse française, pour faire distribuer aux jurés une brochure intitulée L’Illustration sous l’Occupation allemande. Il s’agissait d’un montage de différents documents qui se voulaient accablants pour l’hebdomadaire. En même temps, elle sera reprise dans nombre de journaux. Conséquence immédiate : au lieu de l’acquittement attendu et réclamé, on passe à un verdict de culpabilité, mais accompagné de circonstances atténuantes. C’est assez pour que la dissolution soit prononcée.
Pour assurer la survie de Baschet et Cie, Louis Baschet va se battre pied à pied sur le terrain juridique pendant plusieurs années. Une première victoire se profile en 1952 : un arrêté du 14 janvier limite la confiscation aux seuls biens qui ont servi directement à la parution de L’Illustration. Plusieurs immeubles peuvent ainsi être restitués. Mais c’est le 18 juin 1954 que la société pourra recouvrer la totalité de ses biens, à la suite du décret de grâce présidentielle qui la relève de toute condamnation. Il faudra encore deux ans pour que cette restitution aboutisse théoriquement, y compris celle de l’imprimerie de Bobigny. Pratiquement, les prétentions de la SNEP qui exigeait une importante indemnité pour « les améliorations apportées » retarderont encore de deux ans la prise d’effet. En réalité, comme le notera Roger Baschet, « la SNEP ne s’apprêtait à rendre que des immeubles non entretenus, ainsi que des machines usées et démodées. L’escroquerie continuait ». Après le règlement à l’amiable du différend, en 1958, l’imprimerie sera gérée jusqu’en 1969 par Denis Baschet, fils de Louis Baschet, avant de fermer définitivement en décembre 1971.
Jusqu’à son décès, le 25 juin 1972, Louis Baschet présidera aux destinées de Baschet et Cie dont l’activité principale est désormais tournée vers l’édition de livres d’art, diffusés en librairies et par un réseau qui a compté jusqu’à une centaine de courtiers, avec les Editions de l’Illustration et les Nouvelles éditions françaises. A propos de son cousin, Roger Baschet écrit : « En 1956, Louis reprenait possession des bureaux de la rue Saint-Georges et du fauteuil qui avait été celui de son père. De son appartement, quai Anatole-France, il refaisait deux fois par jour le trajet de son bureau. Mais en conservant les habitudes du début de la guerre, c'est-à-dire à bicyclette. Et jusqu’à sa dernière année, en dépit de ses mauvais yeux et des objurgations de ses enfants, on le vit pédaler par tous les temps, ses pantalons remontés par des pinces, silhouette devenue légendaire ».
Progressivement, le flambeau passe aux mains de la génération suivante : Denis Baschet (né le 20 mai 1920) puis Eliane Allégret-Baschet (1928-2010). Cette dernière, avec son mari Roger Allégret (1922-2006), va assurer la direction des Nouvelles Editions françaises – Editions de L’Illustration fusionnées en 1989 jusqu’à leur disparition définitive en 1999.
FRANCE ILLUSTRATION (1945-1955) : biographies des directeurs
GEORGES OUDARD (1889-1971) Directeur de 1945 à 1948
Pour relancer L’Illustration et en exclure totalement les Baschet, on va faire appel à Georges Oudard. Né le 4 février 1889 à Paris, il a effectué des études à la faculté des Lettres de Paris, avant d’obtenir une licence et de poursuivre à l’Ecole du Louvre. Il est devenu journaliste après avoir participé à la Grande guerre. Il a écrit divers ouvrages historiques : Pierre le Grand, Vie de Law, Vieille Amérique, Cecil Rhodes, Croix gammée sur l’Europe centrale (1938). Il est aussi l’auteur d’un livre de souvenirs, Ma jeunesse. Avant guerre, il a eu l’occasion de publier plusieurs articles dans L’Illustration. Sa participation à la résistance lui a valu la Croix de guerre 1939-1945 et la Légion d’honneur, ainsi que la rosette de la Résistance. Il a été également, sous l’Occupation le cofondateur de La France intérieure qui paraîtra de 1944 à 1952. A la Libération, il se retrouve membre de l’Assemblée consultative provisoire, au titre de représentant de l’Alliance démocratique. Elu conseiller de l’Union française par l’Assemblée nationale, il présidera le groupe d’Union française et d’action sociale (UFAS), la nouvelle dénomination que prendra le groupe du RPF, le mouvement politique fondé par le Général de Gaulle.
Georges Oudard siège aussi dans les instances patronales, avec la présidence de l’Union syndicale de la presse périodique, de 1947 à 1954. Dans son Dictionnaire de la Politique française (Tome II), Henry Coston écrit : « Bien que sa biographie officielle commence en 1942, il semble bien que Georges Oudard ait eu une activité avant la guerre. Mais la chronique ne le dit pas. Il serait donc sorti tout armé de la cuisse de la résistance », ironise le polémiste d’extrême droite qui relève que son nom « figure au palmarès de l’action clandestine comme fondateur de La France Intérieure et membre du Conseil national de la Résistance ». En fait, il semble bien que sa nomination à la tête de France Illustration doive beaucoup à sa proximité avec les milieux gaullistes : du Parti démocrate, Oudard passera à l’Union gaulliste, puis au RPF, avant les Républicains sociaux, pour finir à l’UNR. C’est es qualité qu’il siégera à l’Assemblée de l’Union française de 1947 à 1958, où il présidera le groupe gaulliste, avant de se retrouver au Conseil économique et social de 1962 à 1969. Dans son Dictionnaire déjà cité, Henry Coston note que « son dévouement envers le général de Gaulle et ses ressentiments à l’endroit des pétainistes, le poussèrent bien souvent à des excès regrettables. C’est ainsi qu’il intervint en 1959 contre l’écrivain Paul Morand (alors candidat à l’Académie française, ndlr). Juvénal, l’hebdomadaire de la gauche patriote, publiait à ce propos ces lignes, dans son numéro du 22 mai 1959 : « L’affaire Morand a fait couler beaucoup d’encre mais rien ne fut aussi violent de ce qui fut écrit contre l’écrivain qu’un article du gaulliste Georges Oudard. Or les amis de Morand répondent en faisant circuler dans Paris un document dans lequel ils prétendent que M. Oudard, auquel ils reconnaissent en effet une fidélité gaulliste qui date de 1940, dut à cette époque d’être libéré à Marseille, après une arrestation, grâce à l’intervention personnelle du général Laure (proche du maréchal Pétain, ndlr). Et ils précisent que le Georges Oudard gaulliste ne fait qu’une seule et même personne avec le Georges Oudard qui appartint à la rédaction du journal Le légionnaire. Il reste cependant que M. Oudard appartint en 1944 à la Commission d’épuration du Ministère des affaires étrangères et qu’il eut à juger du cas Paul Morand et que, visiblement, il continue à instruire cette affaire ». Durant la guerre d’Algérie, il publia en février 1960, dans le Journal du Parlement un article véhément dans lequel il s’en prenait à « De tristes sires », stigmatisant le comportement des partisans de l’Algérie française. Georges Oudard est décédé le 21 avril 1971 à Paris.
Georges Oudard siège aussi dans les instances patronales, avec la présidence de l’Union syndicale de la presse périodique, de 1947 à 1954. Dans son Dictionnaire de la Politique française (Tome II), Henry Coston écrit : « Bien que sa biographie officielle commence en 1942, il semble bien que Georges Oudard ait eu une activité avant la guerre. Mais la chronique ne le dit pas. Il serait donc sorti tout armé de la cuisse de la résistance », ironise le polémiste d’extrême droite qui relève que son nom « figure au palmarès de l’action clandestine comme fondateur de La France Intérieure et membre du Conseil national de la Résistance ». En fait, il semble bien que sa nomination à la tête de France Illustration doive beaucoup à sa proximité avec les milieux gaullistes : du Parti démocrate, Oudard passera à l’Union gaulliste, puis au RPF, avant les Républicains sociaux, pour finir à l’UNR. C’est es qualité qu’il siégera à l’Assemblée de l’Union française de 1947 à 1958, où il présidera le groupe gaulliste, avant de se retrouver au Conseil économique et social de 1962 à 1969. Dans son Dictionnaire déjà cité, Henry Coston note que « son dévouement envers le général de Gaulle et ses ressentiments à l’endroit des pétainistes, le poussèrent bien souvent à des excès regrettables. C’est ainsi qu’il intervint en 1959 contre l’écrivain Paul Morand (alors candidat à l’Académie française, ndlr). Juvénal, l’hebdomadaire de la gauche patriote, publiait à ce propos ces lignes, dans son numéro du 22 mai 1959 : « L’affaire Morand a fait couler beaucoup d’encre mais rien ne fut aussi violent de ce qui fut écrit contre l’écrivain qu’un article du gaulliste Georges Oudard. Or les amis de Morand répondent en faisant circuler dans Paris un document dans lequel ils prétendent que M. Oudard, auquel ils reconnaissent en effet une fidélité gaulliste qui date de 1940, dut à cette époque d’être libéré à Marseille, après une arrestation, grâce à l’intervention personnelle du général Laure (proche du maréchal Pétain, ndlr). Et ils précisent que le Georges Oudard gaulliste ne fait qu’une seule et même personne avec le Georges Oudard qui appartint à la rédaction du journal Le légionnaire. Il reste cependant que M. Oudard appartint en 1944 à la Commission d’épuration du Ministère des affaires étrangères et qu’il eut à juger du cas Paul Morand et que, visiblement, il continue à instruire cette affaire ». Durant la guerre d’Algérie, il publia en février 1960, dans le Journal du Parlement un article véhément dans lequel il s’en prenait à « De tristes sires », stigmatisant le comportement des partisans de l’Algérie française. Georges Oudard est décédé le 21 avril 1971 à Paris.
GILBERT CAHEN-SALVADOR (1911-1988) Directeur de 1948 à 1955
Né à Paris le 5 octobre 1911, c’est lui qui va diriger la revue jusqu'à son absorption par Fémina au début de 1956, alors que Vincent Delpuech (voir ci-dessous) assume la présidence de la société éditrice. Il est le fils de Georges Cahen-Salvador (1875-1963), un juriste réputé, considéré comme l’auteur de la législation sur les assurances sociales dans l’entre deux guerres. Gilbert Cahen-Salvador a fait ses études au lycée Janson-de-Sailly, à la Faculté de droit et des lettres puis à l’école libre des Sciences Politiques. En 1945, il est nommé par André Malraux chef de cabinet adjoint du ministre de l’information (J.O. du 12 décembre 1945). Il devient rédacteur en chef d’International News service en France de 1946 à 1948.
En 1948, il succède à Georges Oudard, à la tête de France Illustration. Malgré plusieurs tentatives pour maintenir en vie le magazine (changements de couvertures, modification du format, abandon du rythme hebdomadaire pour celui de mensuel, il ne parviendra pas à redresser la barre. Le tirage tombe autour de 50.000 exemplaires et le titre, déjà mal en point, perd toute rentabilité. La fusion en janvier 1956 avec le magazine Fémina, piloté par Hélène Gordon-Lazareff puis sa dilution dans Réalités, sous la coupe du groupe Hachette, marquent la disparition définitive du titre France Illustration, lequel n’apparaissait d’ailleurs plus qu’en sous-titre, au graphisme de plus en plus discret. Après la disparition de France Illustration,Gilbert Cahen-Salvador poursuivra sa carrière au sein du groupe Publicis, comme secrétaire général (1956) puis comme administrateur général (1962-1971), avant de devenir administrateur général de Publicis SA (1971-1974). Il a été aussi président directeur général de la société du drugstore des Champs-Elysées (1963-1974), à l’ombre du fondateur du groupe Marcel Bleustein-Blanchet. On le retrouve par ailleurs comme administrateur de Métrobus Publicité, de Télé Monte-Carlo et de Baikowski et Cie, une entreprise spécialisée dans la pierre synthétique. Gilbert Cahen-Salvador, décédé le 5 juin 1988, était croix de guerre 1939-1945, Officier de la Légion d’honneur et commandeur de l’Economie nationale.
En 1948, il succède à Georges Oudard, à la tête de France Illustration. Malgré plusieurs tentatives pour maintenir en vie le magazine (changements de couvertures, modification du format, abandon du rythme hebdomadaire pour celui de mensuel, il ne parviendra pas à redresser la barre. Le tirage tombe autour de 50.000 exemplaires et le titre, déjà mal en point, perd toute rentabilité. La fusion en janvier 1956 avec le magazine Fémina, piloté par Hélène Gordon-Lazareff puis sa dilution dans Réalités, sous la coupe du groupe Hachette, marquent la disparition définitive du titre France Illustration, lequel n’apparaissait d’ailleurs plus qu’en sous-titre, au graphisme de plus en plus discret. Après la disparition de France Illustration,Gilbert Cahen-Salvador poursuivra sa carrière au sein du groupe Publicis, comme secrétaire général (1956) puis comme administrateur général (1962-1971), avant de devenir administrateur général de Publicis SA (1971-1974). Il a été aussi président directeur général de la société du drugstore des Champs-Elysées (1963-1974), à l’ombre du fondateur du groupe Marcel Bleustein-Blanchet. On le retrouve par ailleurs comme administrateur de Métrobus Publicité, de Télé Monte-Carlo et de Baikowski et Cie, une entreprise spécialisée dans la pierre synthétique. Gilbert Cahen-Salvador, décédé le 5 juin 1988, était croix de guerre 1939-1945, Officier de la Légion d’honneur et commandeur de l’Economie nationale.
VINCENT DELPUECH (1888-1966) Président du Comité de direction de 1948 à 1955
En même temps que Gilbert Cahen-Salvador dirige France Illustration, Vincent Delpuech assume la présidence du Comité de direction et préside la société éditrice jusqu’à la cessation de parution. Vincent Delpuech, né le 5 avril 1888 à Port-de-Bouc, a un parcours qui mérite qu’on s’y arrête. Militant de la Gauche républicaine avant guerre, il a débuté au journal Le Radical (Marseille) dont il a été administrateur (1921), directeur (1933) et président de la société éditrice (1942). Nommé à la tête du Petit Provençal en 1935, il est élu sénateur radical indépendant des Bouches du Rhône en 1938. Il a été aussi maire de Peynier. En tant que sénateur, il a voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le 10 juillet 1940 et il a été nommé au Comité d’organisation de la presse par le régime de Vichy. Associé à la société Interfrance-information, il est par ailleurs administrateur de L’Œuvre, le quotidien dirigé par Marcel Déat, qui préside aux destinées du RNP, un des principaux partis collaborationnistes.
Arrêté en 1944, il a été déclaré inéligible (J.O. du 10 janvier 1946), mais finalement acquitté par un tribunal de l’Epuration. Il semble qu’il y aurait eu un « modus vivendi » avec Gaston Deferre, maire de Marseille, Ministre de l’information qui avait fondé Le Provençal sur les ruines du Petit Provençal en occupant ses locaux en 1944. Vingt ans plus tard, en septembre 1964, Vincent Delpuech devait même adhérer au Comité Horizons 80, lancé par Gaston Defferre. Relevé de son inéligibilité, Vincent Delpuech peut reprendre sa carrière d’abord comme conseiller de l’Union Française (1951-1955) puis, à nouveau, comme sénateur des Bouches du Rhône à partir de 1955. Il sera réélu constamment jusqu’à sa disparition en 1966. Au Palais du Luxembourg, il occupera la vice-présidence de la commission des affaires culturelles (1959). Sa présidence de la société éditrice de France Illustration lui valut de présider l’influente Fédération nationale de la presse hebdomadaire et périodique. Il a été également administrateur de la Société d’éditions et d’informations périodiques. Vincent Delpuech est décédé le 9 mars 1966.
Arrêté en 1944, il a été déclaré inéligible (J.O. du 10 janvier 1946), mais finalement acquitté par un tribunal de l’Epuration. Il semble qu’il y aurait eu un « modus vivendi » avec Gaston Deferre, maire de Marseille, Ministre de l’information qui avait fondé Le Provençal sur les ruines du Petit Provençal en occupant ses locaux en 1944. Vingt ans plus tard, en septembre 1964, Vincent Delpuech devait même adhérer au Comité Horizons 80, lancé par Gaston Defferre. Relevé de son inéligibilité, Vincent Delpuech peut reprendre sa carrière d’abord comme conseiller de l’Union Française (1951-1955) puis, à nouveau, comme sénateur des Bouches du Rhône à partir de 1955. Il sera réélu constamment jusqu’à sa disparition en 1966. Au Palais du Luxembourg, il occupera la vice-présidence de la commission des affaires culturelles (1959). Sa présidence de la société éditrice de France Illustration lui valut de présider l’influente Fédération nationale de la presse hebdomadaire et périodique. Il a été également administrateur de la Société d’éditions et d’informations périodiques. Vincent Delpuech est décédé le 9 mars 1966.
POUR CONCLURE : LE REGARD DE ROGER BASCHET SUR FRANCE ILLUSTRATION
"Cette pâle imitation avait été l’oeuvre d’un petit imprimeur, M. Corouge (2), qui s’était fait donner le droit de siéger rue Saint-Georges, après les manœuvres d’Albert Bayet (3). Il échoua et fut remplacé par M. Oudard, puis par M. Delpuech. Ce dernier ne parvint pas à un meilleur résultat et finit par vendre le titre à Hachette qui le laissa tomber, après l’avoir associé un moment à celui de Fémina sur la couverture de Réalités. Ce qui prouve que l’extraordinaire diffusion de l’Illustration d’avant la guerre était liée à la qualité des hommes qui en avaient la charge".
NOTES
(1) Roger Baschet, Les Baschet, Chronique de la famille Baschet, 100 ans de souvenirs (1872-1972), édition hors commerce, 1974, ouvrage tiré à 250 exemplaires). Né en 1902, Roger Baschet était le neveu de René Baschet et le fils de Jacques Baschet, directeur des services artistiques de L’Illustration. Il a publié divers articles de variété dans les colonnes du magazine, avant de rédiger plusieurs ouvrages d’art, après guerre. Il a également été un des principaux collaborateurs de Plaisir de France.
(2) Le nom d’Alfred Corouge figure comme imprimeur sur les trois fascicules publiés en 1945 entre la disparition de L’Illustration et la création de France Illustration (Les Etats-Unis dans la guerre, La Grande-Bretagne en guerre et Les étapes de la victoire). On le retrouve aussi sur les numéros publiés en 1945, à compter du 6 octobre.
(3) Albert Bayet (1880-1961), universitaire et journaliste, participa à la résistance et fut, à la libération, un des principaux organisateurs de la nouvelle presse issue de la résistance. Il présida la puissante Fédération nationale de la presse française. En 1949, il fut à l’origine de la publication de la brochure L’Illustration sous l’occupation, distribuée auprès des membres du tribunal qui avait à juger le dossier de la société éditrice de L’Illustration.
Jean Paul Perrin
NOTES
(1) Roger Baschet, Les Baschet, Chronique de la famille Baschet, 100 ans de souvenirs (1872-1972), édition hors commerce, 1974, ouvrage tiré à 250 exemplaires). Né en 1902, Roger Baschet était le neveu de René Baschet et le fils de Jacques Baschet, directeur des services artistiques de L’Illustration. Il a publié divers articles de variété dans les colonnes du magazine, avant de rédiger plusieurs ouvrages d’art, après guerre. Il a également été un des principaux collaborateurs de Plaisir de France.
(2) Le nom d’Alfred Corouge figure comme imprimeur sur les trois fascicules publiés en 1945 entre la disparition de L’Illustration et la création de France Illustration (Les Etats-Unis dans la guerre, La Grande-Bretagne en guerre et Les étapes de la victoire). On le retrouve aussi sur les numéros publiés en 1945, à compter du 6 octobre.
(3) Albert Bayet (1880-1961), universitaire et journaliste, participa à la résistance et fut, à la libération, un des principaux organisateurs de la nouvelle presse issue de la résistance. Il présida la puissante Fédération nationale de la presse française. En 1949, il fut à l’origine de la publication de la brochure L’Illustration sous l’occupation, distribuée auprès des membres du tribunal qui avait à juger le dossier de la société éditrice de L’Illustration.
Jean Paul Perrin